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NOTICE PRÉLIMINAIRE.

ouvrage complet et orné d’un grand nombre de planches ; et considérant en même temps qu’il ne serait pas juste d’obliger les libraires qui ont fait cette entreprise à rendre la totalité des sommes qui leur ont été payées, et qui ont été employées en grande partie à la confection desdits sept volumes supprimés, Sa Majesté aurait reconnu qu’il était juste de fixer la somme que les libraires sont tenus de rendre aux souscripteurs. À quoi voulant pourvoir ; ouï le rapport, le roi étant en son conseil, de l’avis de M. le chancelier, a ordonné et ordonne que les nommés Lebreton, David l’aîné, Briasson et Durand, libraires, seront tenus de rendre à tous ceux qui leur présenteront une souscription signée d’eux pour l’ouvrage intitulé : Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, arts et métiers, par une société de gens de lettres, la somme de soixante-douze livres ; au moyen duquel payement ils seront déchargés de leur engagement envers lesdits souscripteurs. Enjoint Sa Majesté au sieur Bertin, maître des requêtes ordinaire de son hôtel, lieutenant général de police, de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, lequel sera imprimé, publié et affiché partout où il appartiendra. Fait au Conseil d’État du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le vingt et un juillet mil sept cent cinquante-neuf.

Signé Phélypeaux.


Tout paraissait dès lors bien fini et la partie perdue. D’Alembert avait vu venir le coup de loin. Il écrivait, le 28 janvier 1758, à Voltaire, la lettre suivante :


« Oui, sans doute, mon cher maître, l’Encyclopédie est devenue un ouvrage nécessaire et se perfectionne à mesure qu’elle avance ; mais il est devenu impossible de l’achever dans le maudit pays où nous sommes. Les brochures, les libelles, tout cela n’est rien ; mais croiriez-vous que tel de ces libelles a été imprimé par des ordres supérieurs, dont M. de Malesherbes n’a pu empêcher l’exécution ? Croiriez-vous qu’une satire atroce contre nous, qui se trouve dans une feuille périodique, qu’on appelle les Affiches de province a été envoyée de Versailles à l’auteur avec ordre de l’imprimer ; et qu’après avoir résisté autant qu’il a pu, jusqu’à s’exposer à perdre son gagne-pain, il a enfin imprimé cette satire en l’adoucissant de son mieux ? Ce qui en reste, après cet adoucissement fait par la discrétion du préteur, c’est que nous formons une secte qui a juré la ruine de toute société, de tout gouvernement et de toute morale. Cela est gaillard ; mais vous sentez, mon cher philosophe, que si on imprime aujourd’hui de pareilles choses par ordre exprès de ceux qui ont l’autorité en main, ce n’est pas pour en rester là ; cela s’appelle amasser les fagots au septième volume, pour nous jeter dans le feu au huitième. Nous n’avons plus de censeurs raisonnables à espérer, tels que nous en avions eu jusqu’à présent ; M. de Malesherbes a reçu là-dessus les ordres les plus précis, et en a donné de pareils aux censeurs qu’il a nommés. D’ailleurs, quand nous obtiendrions qu’ils fussent changés, nous n’y gagnerions rien ; nous conserverions alors le ton que nous avons pris, et l’orage recommencerait au huitième volume. Il faudrait donc quitter de nouveau, et cette comédie-là n’est pas bonne à jouer tous les six mois. Si vous connaissiez d’ailleurs M. de Malesherbes, si vous saviez combien il a peu de nerf et de consistance, vous seriez convaincu que nous ne pourrions compter sur rien avec lui, même après les promesses les plus positives. Mon avis est donc, et je persiste, qu’il faut laisser là l’Encyclopédie et attendre un temps plus favorable (qui ne reviendra peut-être jamais) pour la con-