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SUR LA PEINTURE.

menter, émouvoir. On a écrit au-dessous de la muse tragique : φόϐος καὶ ἔλεος ; et vous ne m’inspirerez ni la terreur, ni la pitié, si vous manquez de chaleur, pas plus que vous n’élèverez mon âme, si la vôtre est vide de noblesse.

*

Longin conseille aux orateurs de se nourrir de pensées grandes et nobles. Je ne dédaigne pas ce conseil ; mais le lâche se bat inutilement les flancs pour être brave : il faut l’être d’abord, et se fortifier seulement avec le commerce de ceux qui le sont. Il faut reconnaître son cœur, quand on les lit ou qu’on les écoute ; en être étonné c’est s’avouer incapable de parler, de penser et d’agir comme eux. Heureux celui qui, parcourant la vie des grands hommes, les approuve et ne les admire point, et dit : ed anch’ io son pittore[1] !

*

Il faut sacrifier aux grâces, même dans la peinture de la mauvaise humeur et du souci.

*

Rien de plus piquant qu’un accessoire mélancolique dans un sujet badin.

Vivamus, mea Lesbia, atque amemus,
Rumoresque senun severiorum
Omnes unius æstimemus assis.
Soles, occidere, et redire possunt.
Nobis, quum semel occidit brevis lux,
Nox est perpetua una dormienda.
Da mihi basia, mille, deinde centum.
Val. Catulli, Carmina, ad. Lesbiam. Car. v, vers 1 et seq.

*

Quelque talent qu’il y ait dans un ouvrage malhonnête, il est destiné à périr, ou par la main de l’homme sévère, ou par la main de l’homme superstitieux ou dévot.

« Quoi ! vous seriez assez barbare pour briser la Vénus aux belles fesses ?

  1. Et moi aussi je suis peintre ! Exclamation du Corrége en voyant un tableau de Raphaël. (Br.)