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SUR LA PEINTURE.
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Il est une certaine subtilité d’esprit très-pernicieuse ; elle sème le doute et l’incertitude. Ces amasseurs de nuages me déplaisent spécialement ; ils ressemblent au vent qui remplit les yeux de poussière.

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Il y a bien de la différence entre un raisonneur et un homme raisonnable. L’homme raisonnable se tait souvent, le raisonneur ne déparle pas.

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Le poëte a dit :

...Trahit sua quemque voluptas.
Virgil. Bucol. Eclog. ii, v. 65.

Si l’observation de la nature n’est pas le goût dominant du littérateur ou de l’artiste, n’en attendez rien qui vaille ; et lui reconnaîtriez-vous ce goût dès sa plus tendre jeunesse, suspendez encore votre jugement. Les muses sont femmes, elles n’accordent pas toujours leurs faveurs à ceux qui les sollicitent le plus opiniâtrement. Combien elles ont fait d amants malheureux, et combien elles en feront encore ! Et pour l’amant favorisé, encore y a-t-il l’heure du berger.

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La sotte occupation que celle de nous empêcher sans cesse de prendre du plaisir, ou de nous faire rougir de celui que nous avons pris !… C’est celle du critique.

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Plutarque dit qu’il y eut, une fois, un homme si parfaitement beau, que, dans un temps où les arts florissaient, il mit en défaut toutes les ressources de la peinture et de la sculpture. Mais cet homme était un prince, il s’appelait Démétrius Poliorcète. Il n’y avait peut-être pas une seule partie dans cet homme que l’art ne pût encore embellir ; la flatterie n’en doutait pas, mais elle se gardait bien de le dire.

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Un peintre ancien a dit qu’il était plus agréable de peindre que d’avoir peint. Il y a un fait moderne qui le prouve : c’est