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SALON DE 1767. 231

Si l’absence nous tient éloignés, j’y viendrai rechercher la même ivresse qui avait si entièrement, si délicieusement disposé de nos sens ; mon cœur palpitera de rechef ; je rechercherai, je retrouverai l’égarement voluptueux. Tu y seras, jusqu’à ce que la douce langueur, la douce lassitude du plaisir soit passée. Alors je me relèverai ; je m’en reviendrai ; mais je n’en reviendrai pas sans m’arrêter, sans retourner la tête, sans fixer mes regards sur l’endroit où je fus heureux avec toi et sans toi. Sans toi ! je me trompe ; tu y étais encore ; et à mon retour, les hommes verront ma joie ; mais ils n’en devineront pas la cause. Que fais-tu à présent ? où es-tu ? n’y a-t-il aucun antre, aucune forêt, aucun lieu secret, écarté, où tu puisses porter tes pas et perdre aussi ta mélancolie ?

O censeur, qui réside au fond de mon cœur, tu m’as suivi jusqu’ici ! Je cherchais à me distraire de ton reproche, et c’est ici que je t’entends plus fortement. Fuyons ces lieux. Est-ce le séjour de l’innocence ? est-ce celui du remords ? C’est l’un et l’autre, selon l’âme qu’on y porte. Le méchant fuit la solitude ; l’homme juste la cherche. Il est si bien avec lui-même ! Les productions des artistes sont regardées d’un œil bien différent, et par celui qui connaît les passions, et par celui qui les ignore. Elles ne disent rien à celui-ci. Que ne disent-elles point à moi ? L’un n’entrera point dans cette caverne que je cherchais ; il s’écartera de cette forêt où je me plais à m’enfoncer. Qu’y ferait-il ? il s’y ennuierait.

S’il me reste quelque chose à dire sur la poésie des ruines, Robert m’y ramènera.

Le morceau dont il s’agit ici est le plus beau de ceux qu’il a exposés. L’air y est épais ; la lumière chargée de la vapeur des lieux frais et des corpuscules que des ténèbres visibles nous y font discerner ; et puis cela est d’un pinceau si doux, si moelleux, si sur ! C’est un effet merveilleux produit sans effort. On ne songe pas à l’art. On admire, et c’est de l’admiration même que l’on accorde à la nature.

109. INTÉRIEUR D’UNE GALERIE RUINÉE 1 .

A droite une colonnade ; debout sur les débris ou restes

1. Petit ovale.