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à porter, agissants, de repos ; et, tout à fait sur la gauche et les derniers degrés, des pêcheurs à leurs filets.

Je ne sais ce que je louerai de préférence dans ce morceau. Est-ce le reflet de la lune sur ces eaux ondulantes ? Sont-ce ces nuées sombres et chargées et leur mouvement ? Est-ce ce vaisseau qui passe au devant de l’astre de la nuit, et qui le renvoie et l’attache à son immense éloignement ? Est-ce la réflexion dans le fluide de la petite torche que ce marin tient à l’extrémité de la nacelle ? Sont-ce les deux figures adossées à la fontaine ? Est-ce le brasier dont la lueur rougeâtre se propage sur tous les objets environnants, sans détruire l’harmonie ? Est-ce l’effet total de cette nuit ? Est-ce cette belle masse de lumière qui colore les proéminences de cette roche, et dont la vapeur se mêle à la partie des nuages auxquels elle se réunit ?

On dit de ce tableau, que c’est le plus beau de Vernet, parce que c’est toujours le dernier ouvrage de ce grand maître qu’on appelle le plus beau ; mais, encore une fois, il faut le voir. L’effet de ces deux lumières, ces lieux, ces nuées, ces ténèbres qui couvrent tout, et laissent discerner tout ; la terreur et la vérité de cette scène auguste, tout cela se sent fortement, et ne se décrit point.

Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que l’artiste se rappelle ces effets à deux cents lieues de la nature, et qu’il n’a de modèle présent que dans son imagination ; c’est qu’il peint avec une vitesse incroyable ; c’est qu’il dit : Que la lumière se fasse, et la lumière est faite ; que la nuit succède au jour, et le jour aux ténèbres, et il fait nuit, et il fait jour ; c’est que son imagination, aussi juste que féconde, lui fournit toutes ces vérités ; c’est qu’elles sont telles, que celui qui en fut spectateur froid et tranquille au bord de la mer, en est émerveillé sur la toile ; c’est qu’en effet ces compositions prêchent plus fortement la grandeur, la puissance, la majesté de la nature, que la nature même. Il est écrit : Cœli enarrant gloriam Dei. Mais ce sont les cieux de Vernet ; c’est la gloire de Vernet. Que ne fait-il pas avec excellence ! Figure humaine de tous les âges, de tous les états, de toutes les nations ; arbres, animaux, paysages, marines, perspectives ; toute sorte de poésie, rochers imposants, montagnes, eaux dormantes, agitées, précipitées ; torrents, mers tranquilles, mers en fureur ; sites variés à l’infini, fabriques