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ture toujours économe, et jamais avare ni pauvre. Tout est vrai. On le sent. On n’accuse, on ne désire rien, on jouit également de tout. J’ai ouï dire à des personnes qui avaient fréquenté longtemps les bords de la mer, qu’elles reconnaissaient sur cette toile, ce ciel, ces nuées, ce temps, toute cette composition.

Septième tableau. — Ce n’est donc plus à l’abbé que je m’adresse, c’est à vous. La lune élevée sur l’horizon est à demi cachée dans des nuées épaisses et noires ; un ciel tout à fait orageux et obscur occupe le centre de ce tableau, et teint de sa lumière pâle et faible, et le rideau qui l’offusque, et la surface de la mer qu’elle domine. On voit, à droite, une fabrique ; proche de cette fabrique, sur un plan plus avancé sur le devant, les débris d’un pilotis ; un peu plus vers la gauche et le fond, une nacelle, à la proue de laquelle un marinier tient une torche allumée ; cette nacelle vogue vers le pilotis ; plus encore sur le fond, et presque en pleine mer, un vaisseau à la voile, et faisant route vers la fabrique ; puis une étendue de mer obscure illimitée. Tout à fait à gauche, des rochers escarpés ; au pied de ces rochers, un massif de pierre, une espèce d’esplanade d’où l’on descend de face et de côté, vers la mer ; sur l’espace qu’elle enceint à gauche contre les rochers, une tente dressée ; au dehors de cette tente, une tonne, sur laquelle deux matelots, l’un assis par devant, l’autre accoudé par derrière, et tous les deux regardant vers un brasier allumé à terre, sur le milieu de l’esplanade. Sur ce brasier, une marmite suspendue par des chaînes de fer à une espèce de trépied. Devant cette marmite, un matelot accroupi et vu par le dos ; plus vers la gauche, une femme accroupie et vue de profil. Contre le mur vertical qui forme le derrière de la fontaine, debout, le dos appuyé contre ce mur, deux figures, charmantes pour la grâce, le naturel, le caractère, la position, la mollesse, l’une d’homme, l’autre de femme. C’est un époux, peut-être, et sa jeune épouse ; ce sont deux amants ; un frère et sa sœur. Voilà à peu près toute cette prodigieuse composition. Mais que signifient mes expressions exagérées et froides, mes lignes sans chaleur et sans vie, ces lignes que je viens de tracer les unes au-dessous des autres ? Rien, mais rien du tout ; il faut voir la chose. Encore oubliais-je de dire que sur les degrés de l’esplanade il y a des commerçants, des marins occupés à rouler,