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du rocher, tenait sa ligne qu’il avait jetée dans des eaux qui baignaient cet endroit ; l’autre, les épaules chargées de son filet, et courbé vers le premier, s’entretenait avec lui. Sur l’espèce de chaussée rocailleuse que le pied du rocher formait en se prolongeant, dans un lieu où cette chaussée s’inclinait vers le fond, une voiture couverte et conduite par un paysan descendait vers un village situé au-dessous de cette chaussée. C’était encore un incident que l’art aurait suggéré ; mes regards, rasant la crête de cette langue de rocaille, rencontraient le sommet des maisons du village, et allaient s’enfoncer et se perdre dans une campagne qui confinait avec le ciel.

« Quel est celui de vos artistes, me disait mon cicerone, qui eût imaginé de rompre la continuité de cette chaussée rocailleuse par une touffe d’arbres ?

— Vernet, peut-être.

— À la bonne heure ; mais votre Vernet en aurait-il imaginé l’élégance et le charme ? Aurait-il pu rendre l’effet chaud et piquant de cette lumière qui joue entre leurs troncs et leurs branches ?

— Pourquoi non ?

— Rendre l’espace immense que votre œil découvre au-delà ?

— C’est ce qu’il a fait quelquefois. Vous ne connaissez pas cet homme ; jusqu’où les phénomènes de la nature lui sont familiers… »

Je répondais de distraction ; car mon attention était arrêtée sur une masse de rochers couverte d’arbustes sauvages, que la nature avait placés à l’autre extrémité du tertre rocailleux. Cette masse était pareillement masquée par un rocher antérieur, qui, se séparant du premier, formait un canal d’où se précipitaient en torrent des eaux qui venaient, sur la fin de leur chute, se briser en écumant contre des pierres détachées…

« Eh bien ! dis-je à mon cicerone, allez-vous-en au Salon, et vous verrez qu’une imagination féconde, aidée d’une étude profonde de la nature, a inspiré à un de nos artistes précisément ces rochers, cette cascade et ce coin de paysage.

— Et peut-être avec ce gros quartier de roche brute, et le pêcheur assis qui relève son filet et les instruments de son métier épars à terre autour de lui, et sa femme debout, et cette femme vue par le dos.