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de Creutz en dit autant de son Adonis ; tous les deux amusants pour vous, nous le sommes encore, le comte et moi, l’un pour l’autre. Si nous pouvions, par un tour de tête original, voir les hommes en scène, prendre le monde pour ce qu’il est, un théâtre, nous nous épargnerions bien des moments d’humeur.

BACHELIER.

37. PSYCHÉ ENLEVÉE DU ROCHER PAR LES ZÉPHIRS[1].

Ce tableau n’y était pas non plus ; et je répéterai, tant mieux pour l’artiste et pour nous.

Voilà un assez bon artiste perdu sans ressource. Il a déposé le titre et les fonctions d’académicien pour se faire maître d’école [2]; il a préféré l’argent à l’honneur ; il a dédaigné la chose pour laquelle il avait du talent, et s’est entêté de celle pour laquelle il n’en avait point. Ensuite il a dit : Je veux boire, manger, dormir, avoir d’excellents vins, des vêtements de luxe, de jolies femmes ; je méprise la considération publique... Mais, monsieur Bachelier, le sentiment de l’immortalité ? — Qu’est-ce que cela ? je ne vous entends pas. — Le respect de la postérité ? — Le respect de ce qui n’est pas ? je ne vous entends pas davantage.

— Monsieur Bachelier, vous avez raison, c’est moi qui suis un sot. On ne donne pas ces idées à ceux qui ne les ont pas. C’est une manie qui n’est pas trop rare, que celle de repousser la gloire qui se présente, pour courir après celle qui nous fuit. Le philosophe veut faire des vers, et il en fait de mauvais. Le poëte veut trancher du philosophe, et il fait hausser les épaules à celui-ci. Le géomètre ambitionne la réputation de littérateur, et il reste médiocre. L’homme de lettres s’occupe de la quadrature du cercle, et il sent lui-même son ridicule. Falconet veut savoir le latin comme moi. Je veux me connaître en peinture comme lui ; et de tous côtés on ne voit que l’adage asinas ad lyram ou des Bachelier à l'histoire.

  1. Tableau de 4 pieds sur 3.
  2. Bachelier venait, de fonder (1766) l’École royale gratuite de dessin, sur laquelle un trouvera d’intéressants renseignements à la lin de l’ouvrage de M. L. Courajod : L’École royale des élèves protégés, etc. Paris, Dumoulin, 1874, in-8°.