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avis. Cependant, M. de Chennevières dit (article sur Roslin dans la Revue universelle des arts, août 1856) : « De bonne foi, n’est-ce pas Diderot qui a dicté à ce comparse de Grimm les petits Salons de 1753 et 1757 ? » Il ajoute en note : « La tête de Diderot passe même, involontairement, par plus d’un trou du masque ; » et il en donne pour preuve la première phrase de ce même passage que nous avons cité : « M. Diderot aurait voulu voir Ulysse embrasser Agamemnon dans ce moment terrible. » Nous croyons que c’est pousser trop loin le mépris de Grimm et exagérer l’influence de Diderot sur lui. Il faut bien dire la vérité. Ce n’est pas Diderot qui avait de l’influence sur Grimm et qui se servait de lui, c’est Grimm qui se servait de Diderot et le dirigeait. On peut prendre au pied de la lettre ces mots de Diderot (Salon de 1765) : « Si j’ai quelques notions réfléchies de la peinture et de la sculpture, c’est à vous, mon ami, que je les dois. » C’est en effet Grimm qui, dans l’intérêt de sa Correspondance, a dressé Diderot à ce métier de critique d’art. L’élève a bien vite dépassé le maître de mille coudées, mais il n’en a pas moins été créé par lui et mis par lui en rapport avec les artistes qui l’ont ensuite fait entrer plus avant dans les secrets du métier. D’autre part, nous connaissons maintenant (nous représente ici nos lecteurs autant que nous-même) assez bien Diderot pour savoir que, s’il donnait à Grimm ses petits papiers, il ne cherchait nullement à déguiser sa façon d’écrire, et que le je s’y étalait, sans que Grimm songeât à s’en formaliser : bien plutôt, il se faisait honneur, toutes les fois qu’il le pouvait, de cette collaboration, sauf à placer en note ses propres observations. Le Salon de 1765 est significatif à cet égard ; et si on ne l’a pas assez remarqué, c’est qu’on s’en est trop souvent rapporté à l’édition de ce Salon donnée par Naigeon et suivie par les éditeurs plus récents, édition dans laquelle les notes de Grimm avaient été systématiquement supprimées. Or Grimm ne nomme Diderot qu’à partir du Salon de 1759. Nous pourrions donc nous fier à lui, quand même nous n’aurions pas à ajouter à son témoignage celui de Naigeon, qui ne l’aimait pas, qui ne songeait pas qu’on pût discuter un jour ces questions d’attribution, et qui dit formellement, dans une note de l’Essai sur la peinture, note oubliée par l’éditeur Brière : « Le premier des Salons de Diderot est de l’année 1759. »

On nous saura gré d’arrêter ici cette Notice sans y mêler des considérations sur les qualités de Diderot en tant que critique d’art. Il nous faut cependant faire remarquer que, s’il y a dans tous ses jugements une grande bonne foi et un ardent amour du beau, il n’échappe pas toujours aux impressions du moment et à certaines théories qui ressortissent plutôt à la littérature qu’à l’art proprement dit. Mais on peut affirmer, quant à ses amitiés pour certains artistes, que ce ne sont pas