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ESSAI SUR LA PEINTURE.

mesquins, à petites scènes domestiques prises du coin des rues, à qui l’on ne peut rien accorder au delà du mécanique du métier, et qui ne sont rien quand ils n’ont pas porté ce mérite au dernier degré. Le peintre de genre, de son côté, regarde la peinture historique comme un genre romanesque, où il n’y a ni vraisemblance ni vérité, où tout est outré, qui n’a rien de commun avec la nature, où la fausseté se décèle, et dans les caractères exagérés, qui n’ont existé nulle part ; et dans les incidents, qui sont tous d’imagination ; et dans le sujet entier, que l’artiste n’a jamais vu hors de sa tête creuse ; et dans les détails, qu’il a pris on ne sait où ; et dans ce style qu’on appelle grand et sublime, et qui n’a point de modèle en nature ; et dans les actions et les mouvements des figures, si loin des actions et des mouvements réels. Vous voyez bien, mon ami, que c’est la querelle de la prose et de la poésie, de l’histoire et du poème épique, de la tragédie héroïque et de la tragédie bourgeoise, de la tragédie bourgeoise et de la comédie gaie.

Il me semble que la division de la peinture, en peinture de genre et peinture d’histoire, est sensée ; mais je voudrais qu’on eût un peu plus consulté la nature des choses dans cette division. On appelle du nom de peintres de genre, indistinctement, et ceux qui ne s’occupent que des fleurs, des fruits, des animaux, des bois, des forêts, des montagnes, et ceux qui empruntent leurs scènes de la vie commune et domestique ; Téniers, Wouvvermans, Greuze, Chardin, Loutherbourg, Vernet même, sont des peintres de genre. Cependant je proteste que le Père qui fait la lecture à sa famille, le Fils ingrat, et les Fiançailles de Greuze ; que les Marines de Vernet, qui m’offrent toutes sortes d’incidents et de scènes, sont autant pour moi des tableaux d’histoire, que les Sept Sacrements du Poussin, la Famille de Darius de Le Brun, ou la Suzanne de Van Loo.

Voici ce que c’est. La nature a diversifié les êtres en froids, immobiles, non vivants, non sentants, non pensants, et en êtres qui vivent, sentent et pensent. La ligne était tracée de toute éternité : il fallait appeler peintres de genre, les imitateurs de la nature brute et morte ; peintres d’histoire, les imitateurs de la nature sensible et vivante ; et la querelle était finie.

Mais en laissant aux mots les acceptions reçues, je vois que la peinture de genre a presque toutes les difficultés de la pein-