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ESSAI SUR LA PEINTURE.

tétons, ses belles fesses, qui eussent attiré l’Esprit-Saint sur elle, et que cela fût écrit dans le livre de son histoire ; si l’ange Gabriel y était vanté par ses belles épaules ; si la Madeleine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si, aux noces de Cana, le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noce et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires ; de quel ton nous parlerions de ces charmes, qui joueraient un si grand et si merveilleux rôle dans l’histoire de notre religion et de notre Dieu ; et de quel œil nous regarderions la beauté à laquelle nous devrions la naissance, l’incarnation du Sauveur, et la grâce de notre rédemption.

Nous nous servons cependant encore des expressions de charmes divins, de beauté divine : mais, sans quelque reste de paganisme, que l’habitude avec les anciens poètes entretient dans nos cerveaux poétiques, cela serait froid et vide de sens. Cent femmes de formes diverses peuvent recevoir le même éloge ; mais il n’en était pas ainsi chez les Grecs. Il existait en marbre, ou sur la toile, un modèle donné ; et celui qui, aveuglé par sa passion, s’avisait de comparer quelque figure commune avec la Vénus de Gnide ou de Paphos, était aussi ridicule que celui qui, parmi nous, oserait mettre quelque petit nez retroussé de bourgeoise à côté de madame la comtesse de Brionne : on hausserait les épaules, et on lui rirait au visage.

Nous avons cependant quelques caractères traditionnels, quelques figures données par la peinture et par la sculpture. Personne ne se méprend au Christ, à saint Pierre, à la Vierge, à la plupart des apôtres ; et croyez-vous qu’au moment où un bon croyant reconnaît dans la rue quelques-unes de ces têtes, il n’éprouve pas un léger sentiment de respect ? Que serait-ce donc si ces figures ne se présentaient jamais à la vue, sans réveiller un cortège d’idées douces, voluptueuses, agréables, qui missent les sens et les passions en jeu ?

Grâce à Raphaël, au Guide, au Baroche, au Titien, et à quelques autres peintres italiens, lorsque quelque femme nous offre ce caractère de noblesse, de grandeur, d’innocence et de simplicité qu’ils ont donné à leurs vierges, voyez ce qui se passe