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ESSAI SUR LA PEINTURE.

Arnaud ; vous, original, savant, profond et plaisant Galiani. Dites-moi, ne pensez-vous pas que c’est là l’origine de tous ces éloges des mortels, empruntés des attributs des dieux, et de toutes ces épithètes indivisiblement attachées aux héros et aux dieux ? C’étaient autant d’articles de la foi, autant de versets du symbole païen, consacrés par la poésie, la peinture et la sculpture. Lorsque nous voyons ces épithètes revenir sans cesse, si elles nous fatiguent et nous ennuient, c’est qu’il ne subsiste plus aucune statue, aucun temple, aucun modèle, auxquels nous puissions les rapporter. Le païen, au contraire, à chaque fois qu’il les retrouvait dans un poëte, rentrait d’imagination dans un temple, revoyait le tableau, se rappelait la statue qui les avait fournies.

Attendez, mon ami : peut-être que ce qui suit donnera quelque vraisemblance à des idées qui ne vous ont amusé jusqu’à présent que comme un rêve agréable, que comme un système ingénieux. Si notre religion n’était pas une triste et plate métaphysique ; si nos peintres et nos statuaires étaient des hommes à comparer aux peintres et aux statuaires anciens (j’entends les bons ; car vraisemblablement ils en ont eu de mauvais, et plus que nous, comme l’Italie est le lieu où l’on fait le plus de bonne et de mauvaise musique) ; si nos prêtres n’étaient pas de stupides bigots ; si cet abominable christianisme ne s’était pas établi par le meurtre et par le sang ; si les joies de notre paradis ne se réduisaient pas à une impertinente vision béatifique de je ne sais quoi, qu’on ne comprend ni n’entend ; si notre enfer offrait autre chose que des gouffres de feux, des démons hideux et gothiques, des hurlements et des grincements de dents ; si nos tableaux pouvaient être autre chose que des scènes d’atrocité, un écorché, un pendu, un rôti, un grillé, une dégoûtante boucherie ; si tous nos saints et nos saintes n’étaient pas voilés jusqu’au bout du nez, si nos idées de pudeur et de modestie n’avaient proscrit la vue des bras, des cuisses, des tétons, des épaules, toute nudité ; si l’esprit de mortification n’avait flétri ces tétons, amolli ces cuisses, décharné ces bras, déchiré ces épaules ; si nos artistes n’étaient pas enchaînés et nos poètes contenus par les mots effrayants de sacrilège et de profanation ; si la vierge Marie avait été la mère du plaisir, ou bien, mère de Dieu, si c’eût été ses beaux yeux, ses beaux