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ESSAI SUR LA PEINTURE.

pliants et modestes. L’esclave marche la tête inclinée ; il semble toujours la présenter à un glaive prêt à le frapper.

Et qu’est-ce que la sympathie ? j’entends cette impulsion prompte, subite, irréfléchie, qui presse et colle deux êtres l’un à l’autre, à la première vue, au premier coup, à la première rencontre ; car la sympathie, même en ce sens, n’est point une chimère. C’est l’attrait momentané et réciproque de quelque vertu. De la beauté naît l’admiration ; de l’admiration, l’estime, le désir de posséder, et l’amour.

Voilà pour les caractères et leurs diverses physionomies ; mais ce n’est pas tout : il faut joindre encore à cette connaissance une profonde expérience des scènes de la vie. Je m’explique. Il faut avoir étudié le bonheur et la misère de l’homme sous toutes ses faces ; des batailles, des famines, des pestes, des inondations, des orages, des tempêtes ; la nature sensible, la nature inanimée, en convulsion. Il faut feuilleter les historiens, se remplir des poètes, s’arrêter sur leurs images. Lorsque le poëte dit : vera incessu patuit dea, il faut chercher en soi cette figure-là. Lorsqu’il dit : summa placidum caput extulit unda, il faut modeler cette tête-là ; sentir ce qu’il en faut prendre, ce qu’il en faut laisser ; connaître les passions douces et fortes, et les rendre sans grimace. Le Laocoon souffre, il ne grimace pas ; cependant la douleur cruelle serpente depuis l’extrémité de son orteil jusqu’au sommet de sa tête. Elle affecte profondément sans inspirer de l’horreur. Faites que je ne puisse ni arrêter mes yeux, ni les arracher de dessus votre toile.

Ne confondez point les minauderies, la grimace, les petits coins de bouche relevés, les petits becs pinces, et mille autres puériles afféteries, avec la grâce, moins encore avec l’expression.

Que votre tête soit d’abord d’un beau caractère. Les passions se peignent plus facilement sur un beau visage. Quand elles sont extrêmes, elles n’en deviennent que plus terribles. Les Euménides des Anciens sont belles, et n’en sont que plus effrayantes. C’est quand on est en même temps attiré et repoussé violemment qu’on éprouve le plus de malaise ; et ce sera l’effet d’une Euménide à laquelle on aura conservé les grands traits de la beauté.

L’ovale du visage, allongé dans l’homme, large par le haut, se rétrécissant par le bas, caractère de noblesse.