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ESSAI SUR LA PEINTURE.

Le sauvage a les traits fermes, vigoureux et prononcés, des cheveux hérissés, une barbe touffue, la proportion la plus rigoureuse dans les membres ; quelle est la fonction qui aurait pu l’altérer ? Il a chassé, il a couru, il s’est battu contre l’animal féroce, il s’est exercé ; il s’est conservé, il a produit son semblable, les deux seules occupations naturelles. Il n’a rien qui sente l’effronterie ni la honte. Un air de fierté mêlé de férocité. Sa tête est droite et relevée ; son regard fixe. Il est le maître dans sa forêt. Plus je le considère, plus il me rappelle la solitude et la franchise de son domicile. S’il parle, son geste est impérieux, son propos énergique et court. Il est sans lois et sans préjugés. Son âme est prompte à s’irriter. Il est dans un état de guerre perpétuel. Il est souple, il est agile ; cependant il est fort.

Les traits de sa compagne, son regard, son maintien, ne sont point de la femme civilisée. Elle est nue sans s’en apercevoir. Elle a suivi son époux dans la plaine, sur la montagne, au fond de la forêt ; elle a partagé son exercice ; elle a porté son enfant dans ses bras. Aucun vêtement n’a soutenu ses mamelles. Sa longue chevelure est éparse. Elle est bien proportionnée. La voix de son époux était tonnante, la sienne est forte. Ses regards sont moins arrêtés ; elle conçoit de l’effroi plus facilement. Elle est agile.

Dans la société, chaque ordre de citoyens a son caractère et son expression ; l’artisan, le noble, le roturier, l’homme de lettres, l’ecclésiastique, le magistrat, le militaire.

Parmi les artisans, il y a des habitudes de corps, des physionomies de boutiques et d’ateliers.

Chaque société a son gouvernement, et chaque gouvernement a sa qualité dominante, réelle ou supposée, qui en est l’âme, le soutien et le mobile.

La république est un état d’égalité. Tout sujet se regarde comme un petit monarque. L’air du républicain sera haut, dur et fier.

Dans la monarchie, où l’on commande et l’on obéit, le caractère, l’expression sera celle de l’affabilité, de la grâce, de la douceur, de l’honneur, de la galanterie.

Sous le despotisme, la beauté sera celle de l’esclave. Montrez-moi des visages doux, soumis, timides, circonspects, sup-