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ESSAI SUR LA PEINTURE.

Sur son visage ! Que dis-je ? sur sa bouche, sur ses joues, dans ses yeux, en chaque partie de son visage. L’œil s’allume, s’éteint, languit, s’égare, se fixe ; et une grande imagination de peintre est un recueil immense de toutes ces expressions. Chacun de nous en a sa petite provision ; et c’est la base du jugement que nous portons de la laideur et de la beauté. Remarquez-le bien, mon ami ; interrogez-vous à l’aspect d’un homme ou d’une femme, et vous reconnaîtrez que c’est toujours l’image d’une bonne qualité, ou l’empreinte plus ou moins marquée d’une mauvaise, qui vous attire ou vous repousse.

Supposez l’Antinous devant vous. Ses traits sont beaux et réguliers. Ses joues larges et pleines annoncent la santé. Nous aimons la santé ; c’est la pierre angulaire du bonheur. Il est tranquille ; nous aimons le repos. Il a l’air réfléchi et sage ; nous aimons la réflexion et la sagesse. Je laisse là le reste de la figure, et je vais m’occuper seulement de la tête.

Conservez tous les traits de ce beau visage comme ils sont ; relevez seulement un des coins de la bouche, l’expression devient ironique, et le visage vous plaira moins. Remettez la bouche dans son premier état et relevez les sourcils, le caractère devient orgueilleux, et il vous plaira moins. Relevez les deux coins de la bouche en même temps, et tenez les yeux bien ouverts, vous aurez une physionomie cynique, et vous craindrez pour votre fille, si vous êtes père. Laissez retomber les coins de la bouche, et rabaissez les paupières, qu’elles couvrent la moitié de l’iris et partagent la prunelle en deux, et vous en aurez fait un homme faux, caché, dissimulé, que vous éviterez.

Chaque âge a ses goûts. Des lèvres vermeilles bien bordées, une bouche entr’ouverte et riante, de belles dents blanches, une démarche libre, le regard assuré, une gorge découverte, de belles grandes joues larges, un nez retroussé, me faisaient galoper à dix-huit ans. Aujourd’hui que le vice ne m’est plus bon, et que je ne suis plus bon au vice, c’est une jeune fille qui a l’air décent et modeste, la démarche composée, le regard timide, et qui marche en silence à côté de sa mère, qui m’arrête et me charme.

Qui est-ce qui a le bon goût ? Est-ce moi à dix-huit ans ? Est-ce moi à cinquante ? La question sera bientôt décidée. Si l’on m’eût dit à dix-huit ans : u Mon enfant, de l’image du vice,