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ESSAI SUR LA PEINTURE.

tive ; vous en serez bien récompensés par la facilité et la sûreté que vous en retrouverez dans la pratique de votre art. Réfléchissez-y un moment ; et vous concevrez que le corps d’un prophète enveloppé de toute sa volumineuse draperie, et sa barbe touffue, et ses cheveux qui se hérissent sur son front, et ce linge pittoresque qui donne un caractère divin à sa tête, sont assujettis dans tous leurs points aux mêmes principes que le polyèdre. À la longue, l’un ne vous embarrassera pas plus que l’autre. Plus vous multiplierez le nombre idéal de vos plans, plus vous serez corrects et vrais ; et ne craignez pas d’être froids par une condition de plus ou de moins ajoutée à votre technique.

Ainsi que la couleur générale d’un tableau, la lumière générale a son ton. Plus elle est forte et vive, plus les ombres sont limitées, décidées et noires. Éloignez successivement la lumière d’un corps, et successivement vous en affaiblirez l’éclat et l’ombre. Éloignez-la davantage encore, et vous verrez la couleur d’un corps prendre un ton monotone, et son ombre s’amincir, pour ainsi dire, au point que vous n’en discernerez plus les limites. Rapprochez la lumière, le corps s’éclairera, et son ombre se terminera. Au crépuscule, presque plus d’effet de lumière sensible, presque aucune ombre particulière discernable. Comparez une scène de la nature, dans un jour et sous un soleil brillant, avec la même scène sous un ciel nébuleux. Là, les lumières et les ombres seront fortes ; ici, tout sera faible et gris. Mais vous avez vu cent fois ces deux scènes se succéder en un clin d’œil, lorsqu’au milieu d’une campagne immense quelque nuage épais, porté par les vents qui régnaient dans la partie supérieure de l’atmosphère, tandis que la partie qui vous entourait était immobile et tranquille, allait à votre insu s’interposer entre l’astre du jour et la terre. Tout a perdu subitement son éclat. Une teinte, un voile triste, obscur et monotone est tombé rapidement sur la scène. Les oiseaux même en ont été surpris, et leur chant suspendu. Le nuage a passé, tout a repris son éclat, et les oiseaux ont recommencé leur ramage.

C’est l’instant du jour, la saison, le climat, le site, l’état du ciel, le lieu de la lumière, qui en rendent le ton général fort ou faible, triste ou piquant. Celui qui éteint la lumière s’impose la nécessité de donner du corps à l’air même, et d’apprendre à mon œil à mesurer l’espace vide par des objets interposés et