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NOTICE PRÉLIMINAIRE.

foule d’idées qui s’accumulaient tumultueusement dans sa tête, après une longue et forte méditation, ne suit d’autre ordre que celui même dans lequel ses pensées se sont offertes à son esprit ; cet Essai, où l’on remarque, comme dans tous les pas de l’auteur, un génie original qui, dédaignant les sentiers battus où il n’y a guère que des préjugés, des erreurs ou des vérités communes à recueillir, s’ouvre partout de nouvelles routes, est d’autant plus digne de l’attention des lecteurs, que Diderot y discute, éclaircit, résout avec autant d’élégance que de précision plusieurs questions très-compliquées, très-difficiles, et que ses résultats ont encore cette indépendance et cette généralité qui, en philosophie rationnelle, comme dans les sciences exactes, sont un des caractères des grandes conceptions et des vérités fécondes.

« Il est évident qu’une bonne théorie de tous les beaux-arts, ou de tous les genres d’imitation, une fois trouvée, le Traité du Beau serait bien avancé. Mais ce qui n’est pas moins certain, c’est que ces deux sujets, sur lesquels la plupart des littérateurs n’ont dit que des choses vagues, et qui ne portent aucune lumière dans l’esprit, ne peuvent être approfondis que par un philosophe, qui réunisse à des connaissances très-diverses et à une sagacité peu commune, un goût pur et sévère, un sentiment exquis du beau et une étude réfléchie des grands modèles comparés entre eux. Diderot, qui, depuis plusieurs années, avait tourné toutes ses observations, toutes ses pensées vers cette matière abstraite, me paraît l’avoir considérée sous son vrai point de vue et dans tous ses rapports. Le problème, tel qu’il l’avait conçu et qu’il se l’était proposé, était embarrassé de plusieurs inconnues qu’il fallait dégager, pour arriver à une solution directe et générale : c’est ce qui a produit, outre ses différents Salons[1] dont, à l’exception de quelques mots, de quelques lignes de mauvais goût qu’on ferait disparaître d’un trait de plume, la lecture est si agréable, cet excellent Traité de peinture, qu’on peut regarder comme un chef-d’œuvre en ce genre, et ce qu’on a écrit de plus ingénieux, de plus exact et de plus profond sur la partie purement spéculative de ce bel art. Je ne sais si ces littérateurs, qui n’ont pas honte d’inscrire aujourd’hui leurs noms sur la liste des détracteurs de la philosophie, et de ces hommes si justement célèbres, qui font seuls toute la gloire de ce siècle ; je ne sais, dis-je, si ces modernes Zoïles, ces dignes successeurs des Fréron, des Palissot, des Clément, qui, tous les jours, dans leurs leçons ou dans un journal à peu près aussi utile, déchirent[2], avec une fureur plus ridicule que dangereuse, les ouvrages

  1. Le premier est de l’année 1739. (N.)
  2. Voyez dans le journal de la Clef du Cabinet des Souverains plusieurs articles de Fontanes et le Mémorial de frère La Harpe. (N.)