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Diderot.

Non. Pourquoi me faites-vous cette question ?

Grimm.

C’est que le temple que vous venez de décrire est exactement le lieu de la scène du tableau de Fragonard.

Diderot.

Cela se peut. J’avais tant entendu parler de ce tableau, les jours précédents, qu’ayant à faire un temple en rêve, j’aurai fait le sien. Quoi qu’il en soit, tandis que mes yeux parcouraient ce temple, et remarquaient des apprêts qui me présageaient je ne sais quoi dont mon cœur était oppressé, je vis arriver seul un jeune acolyte vêtu de blanc. Il avait l’air triste ; il alla s’accroupir au pied du candélabre, et s’appuyer les bras sur la saillie de la base de la colonne intérieure. Il fut suivi d’un prêtre. Ce prêtre avait les bras croisés sur la poitrine, la tête tout à fait penchée. Il paraissait absorbé dans la douleur et la réflexion la plus profonde ; il s’avançait à pas lents. J’attendais qu’il relevât sa tête ; il le fit en tournant les yeux vers le ciel, et poussant l’exclamation la plus douloureuse, que j’accompagnai moi-même d’un cri, quand je reconnus ce prêtre. C’était le même que j’avais vu quelques instants auparavant presser avec tant d’instance et si peu de succès la jeune inflexible ; il était aussi vêtu de blanc, toujours beau ; mais la douleur avait fait une impression profonde sur son visage ; il avait le front couronné de lierre, et il tenait dans sa main droite le couteau sacré ; il alla se placer debout, à quelque distance du jeune acolyte qui l’avait précédé. Il vint un second acolyte, vêtu de blanc, qui s’arrêta derrière lui.

Je vis entrer ensuite une jeune fille ; elle était pareillement vêtue de blanc. Une couronne de roses lui ceignait la tête. La pâleur de la mort couvrait son visage. Ses genoux tremblants se dérobaient sous elle. À peine eut-elle la force d’arriver jusqu’aux pieds de celui dont elle était adorée ; car c’était celle qui avait si fièrement dédaigné sa tendresse et ses vœux. Quoique tout se passât en silence, il n’y avait qu’à les regarder l’un et l’autre, et se rappeler les mots de l’oracle, pour comprendre que c’était la victime, et qu’il allait en être le sacrificateur. Lorsqu’elle fut proche du grand prêtre, son malheureux