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Scapin s’enfuit ; son maître se défend : mais pressé par le nombre, il est obligé de s’enfuir aussi ; et l’on vient apprendre à Scapin que son maître a échappé au danger. Comment, dira Scapin trompé dans son attente, il s’est donc enfui ? ah, le lâche ! — Mais, lui répondra-t-on, seul contre trois, que voulais-tu qu’il fît ? — Qu’il mourût, répondra-t-il ; et ce qu’il mourût deviendra plaisant. Il est donc constant que la beauté commence, s’accroît, varie, décline et disparaît avec les rapports, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

Mais qu’entendez-vous par un rapport ? me demandera-t-on ; n’est-ce pas changer l’acception des termes, que de donner le nom de beau à ce qu’on n’a jamais regardé comme tel ? Il semble que dans notre langue l’idée de beau soit toujours jointe à celle de grandeur, et que ce ne soit pas définir le beau que de placer sa différence spécifique dans une qualité qui convient à une infinité d’êtres, qui n’ont ni grandeur ni sublimité. M. Crousaz a péché, sans doute, lorsqu’il a chargé sa définition du beau d’un si grand nombre de caractères, qu’elle s’est trouvée restreinte à un très-petit nombre d’êtres ; mais n’est-ce pas tomber dans le défaut contraire, que de la rendre si générale, qu’elle semble les embrasser tous, sans en excepter un amas de pierres informes, jetées au hasard sur le bord d’une carrière ? Tous les objets, ajoutera-t-on, sont susceptibles de rapports entre eux, entre leurs parties, et avec d’autres êtres ; il n’y en a point qui ne puissent être arrangés, ordonnés, symétrisés. La perfection est une qualité qui peut convenir à tous ; mais il n’en est pas de même de la beauté ; elle est d’un petit nombre d’objets.

Voilà, ce me semble, sinon la seule, du moins la plus forte objection qu’on puisse me faire, et je vais tâcher d’y répondre.

Le rapport en général est une opération de l’entendement, qui considère soit un être, soit une qualité, en tant que cet être ou cette qualité suppose l’existence d’un autre être ou d’une autre qualité. Exemple : Quand je dis que Pierre est un bon père, je considère en lui une qualité qui suppose l’existence d’une autre, celle de fils ; et ainsi des autres rapports, tels qu’ils puissent être. D’où il s’ensuit que, quoique le rapport ne soit que dans notre entendement, quant à la perception, il n’en a pas moins son fondement dans les choses ; et je dirai qu’une chose contient en elle des rapports réels, toutes les fois qu’elle