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bien ; et, ce qui n’est pas aussi facile à excuser, il faisait dire quelquefois au pauvre philosophe précisément le contraire de ce qu’il avait pensé et écrit ; de sorte que celui-ci, en se voyant ainsi affaibli, mutilé, éteint, aurait pu lui dire comme le Scythe de la fable :

Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage.

Pour moi, qui n’ai pas pour les titres, les dignités et les cordons ce respect servile et presque religieux par lequel Grimm s’est surtout illustré, soit à Paris, soit dans les pays étrangers ; pour moi, qui ne désire, n’espère et ne crains rien des rois, des grands, des prêtres et des dieux, j’ai conservé scrupuleusement ici et ailleurs les divers passages qui peuvent constater la juste et profonde haine que Diderot avait vouée depuis longtemps à tous ces fléaux, plus ou moins destructeurs, de l’espèce humaine. Les changements, les suppressions, les omissions, en un mot, les différentes sortes d’altérations que Grimm s’était permis de faire au texte, tantôt sous un prétexte et tantôt sous un autre, c’est-à-dire, en dernière analyse, dans la crainte de déplaire aux grands dont il était l’esclave et le flatteur gagé, tout cela a été réparé : ce que Diderot a pensé, ce qu’il a eu le courage de dire, a été rétabli conformément à son manuscrit autographe, qui a même servi de copie pour cette nouvelle édition de ce Salon. »

Et ajoutons seulement que, moins exclusif que Naigeon, et moins convaincu que lui de sa supériorité philosophique et artistique sur Grimm, nous avons soumis son texte à une confrontation minutieuse avec celui de l’an IV, ce qu’on avait négligé jusqu’ici ; que nous avons souvent trouvé celui-ci préférable, et que, dans tous les cas, nous y avons relevé des variantes intéressantes. Mais ce qui valait surtout la peine d’être rétabli, c’étaient ces notes de Grimm que Naigeon traite avec tant de dédain, quoique les siennes soient fort loin de les égaler toujours par l’à-propos et la finesse. Il était d’autant plus nécessaire de les reproduire et de les restituer à leur véritable auteur que ceux des historiens de l’art qui se sont par hasard servis de l’édition de l’an IV pour étayer leurs opinions par des citations les ont le plus souvent attribuées à Diderot sans s’inquiéter des contradictions qu’elles ont presque toujours pour but de soulever. Il est même fâcheux que le Salon de 1765 soit le seul qui nous soit parvenu avec ces annotations : on se serait fait de Grimm une idée plus juste, c’est-à-dire qu’on aurait eu un motif de plus de se rattacher à ce jugement de Sainte-Beuve que nous ne pouvons nous empêcher de citer ici, et qui nous montre dans ce Bohémien, en même temps qu’un homme du plus vif esprit, un des meilleurs critiques « de l’école des Horace, des Pope, des Despréaux. »