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de contorsion ; il semble qu’à sa place on ne prendrait pas une autre attitude. Pour bien juger de l’ajustement d’un homme ou d’une femme, c’est aussi une règle assez sûre que de les transporter sur la toile.

Je vous ai invité d’aller voir les deux tableaux du Martyre de saint Gervais et de saint Protais peints par Le Sueur. Il y a dans la même église un tombeau exécuté par Girardon ; c’est, je crois, celui du chancelier Séguier[1]. Ne manquez pas d’y regarder une Piété qui s’attendrit et se console à la vue d’un Christ qu’elle tient entre ses mains. Que le temps qui a noirci cette figure ne vous en dérobe pas la perfection : voyez son attitude, son expression, sa draperie, ses chairs, ses pieds, ses mains ; comparez l’ouvrage de Vassé avec celui-là. Je sais par expérience que ces sortes de comparaisons avancent infiniment dans la connaissance de l’art.


MIGNOT.


Il n’y a rien cette année de Mignot, cet artiste qui exposa au dernier Salon une Bacchante endormie que nos statuaires placèrent d’une voix unanime au rang des antiques.

À propos de ce Mignot, on m’a révélé une manœuvre des sculpteurs. Savez-vous ce qu’ils font ? Ils prennent sur un modèle vivant les pieds, les mains, les épaules en plâtre ; le creux de ce plâtre leur rend les mêmes parties en relief, et ces parties, ils les emploient ensuite dans leurs compositions tout comme elles sont venues. C’est un moyen d’approcher de la vérité de la nature sans beaucoup d’effort ; ce n’est plus à la vérité le mérite d’un statuaire habile, mais celui d’un fondeur ordinaire. On a soupçonné cette ruse sur des finesses de détails supérieurs à la patience la plus longue et à l’étude de la nature la plus minutieuse.

  1. Il est assez difficile ici de s’entendre. Si Diderot nous renvoie à l’église Saint-Gervais, nous n’y trouvons pas le tombeau du chancelier Séguier, mais celui du chancelier Michel Le Tellier. Il n’y aurait que demi-mal si ce tombeau, ou tout au moins la figure de la Piété, était de Girardon, mais le monument est l’œuvre de Mazeline et d’Hurtrelle. Si le critique a seulement en vue la statue, abstraction faite de l’auteur, nous pouvons accorder qu’elle mérite tous les éloges qu’il lui donne.