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baise pas, qu’il dévore. Quelle vivacité ! quelle ardeur ! Combien de malice dans la tête de cet Amour ! Petit perfide, je te reconnais ; puissé-je pour mon bonheur ne te plus rencontrer.

Un genou en terre, l’autre levé, les mains serrées fortement l’une dans l’autre, Pygmalion est devant son ouvrage et le regarde ; il cherche dans les yeux de sa statue la confirmation du prodige que les dieux lui ont promis. Ô le beau visage que le sien ! Falconet ! comment as-tu fait pour mettre dans un morceau de pierre blanche la surprise, la joie et l’amour fondus ensemble ? Émule des dieux, s’ils ont animé la statue, tu en as renouvelé le miracle en animant le statuaire. Viens, que je t’embrasse ; mais crains que, coupable du crime de Prométhée, un vautour ne t’attende aussi.

Toute belle que soit la figure de Pygmalion, on pouvait la trouver avec du talent ; mais on n’imagine point la tête de la statue sans génie.

Le faire du groupe entier est admirable. C’est une matière une dont le statuaire a tiré trois sortes de chairs différentes. Celles de la statue ne sont point celles de l’enfant, ni celles-ci les chairs du Pygmalion.

Ce morceau de sculpture est très-parfait. Cependant, au premier coup d’œil, le cou de la statue me parut un peu fort ou sa tête un peu faible ; les gens de l’art ont confirmé mon jugement. Oh ! que la condition d’un artiste est malheureuse ! Que les critiques sont impitoyables et plats ! Si ce groupe enfoui sous la terre pendant quelques milliers d’années venait d’en être tiré avec le nom de Phidias en grec, brisé, mutilé dans les pieds, dans les bras, je le regarderais en admiration et en silence.

En méditant ce sujet, j’en ai imaginé une autre composition que voici :

Je laisse la statue telle qu’elle est, excepté que je demande de droite à gauche son action exactement la même qu’elle est de gauche à droite.

Je conserve au Pygmalion son expression et son caractère, mais je le place à gauche : il a entrevu dans sa statue les premiers signes de vie. Il était alors accroupi ; il se relève lentement, jusqu’à ce qu’il puisse atteindre à la place du cœur. Il y