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perception d’un esprit ; comme le froid et le chaud, le doux et l’amer, sont des sensations de notre âme, quoique sans doute il n’y ait rien qui ressemble à ces sensations dans les objets qui les excitent, malgré la prévention populaire qui en juge autrement. On ne voit pas, disent-ils, comment les objets pourraient être appelés beaux, s’il n’y avait pas un esprit doué du sens de la beauté pour leur rendre hommage. Ainsi, par le beau absolu, ils n’entendent que celui qu’on reconnaît en quelques objets, sans les comparer à aucune chose extérieure dont ces objets soient l’imitation et la peinture. Telle est, disent-ils, la beauté que nous apercevons dans les ouvrages de la nature, dans certaines formes artificielles, et dans les figures, les solides, les surfaces ; et par beau relatif, ils entendent celui qu’on aperçoit dans des objets considérés communément comme des imitations et des images de quelques autres. Ainsi leur division a plutôt son fondement dans les différentes sources du plaisir que le beau nous cause, que dans les objets ; car il est constant que le beau absolu a, pour ainsi dire, un beau relatif, et le beau relatif, un beau absolu.


DU BEAU ABSOLU, SELON HUTCHESON ET SES SECTATEURS.


Nous avons fait sentir, disent-ils, la nécessité d’un sens propre qui nous avertit, par le plaisir, de la présence du beau ; voyons maintenant quelles doivent être les qualités d’un objet pour émouvoir ce sens. Il ne faut pas oublier, ajoutent-ils, qu’il ne s’agit ici de ces qualités que relativement à l’homme ; car il y a certainement bien des objets qui font sur lui l’impression de beauté, et qui déplaisent à d’autres animaux. Ceux-ci ayant des sens et des organes autrement conformés que les nôtres, s’ils étaient juges du beau, en attacheraient des idées à des formes toutes différentes. L’ours peut trouver sa caverne commode ; mais il ne la trouve ni belle ni laide ; peut-être s’il avait le sens interne du beau la regarderait-il comme une retraite délicieuse. Remarquez en passant qu’un être bien malheureux ce serait celui qui aurait le sens interne du beau, et qui ne reconnaîtrait jamais le beau que dans les objets qui lui seraient nuisibles ; la Providence y a pourvu par rapport à