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rien, elles le savent ; ce qu’elles ont à faire, c’est de joindre à l’action de leur maîtresse tout le spectacle de leur douleur. Et puis elles sont bien plus certaines qu’Andromaque qu’elles ne verront plus ce cher enfant qu’elles ont élevé.

Mais, monsieur Doyen, vous avez abandonné votre première manière de colorier ; jamais, sans le livret, je ne vous aurais reconnu dans ce tableau. Prenez garde qu’à force de passer d’un faire à un autre, vous ne finissiez par en avoir un indécis et commun, qui soit à tout le monde, excepté à vous.

Il se fait tard ; adieu, monsieur Doyen, je vous souhaite une bonne nuit. À revoir au Salon prochain.


CASANOVE.


Ah ! monsieur Casanove, qu’est devenu votre talent ? Votre touche n’est plus fière comme elle était, votre coloris est moins vigoureux, votre dessin est devenu tout à fait incorrect. Combien vous avez perdu depuis que le jeune Loutherbourg vous a quitté !


125. un combat de cavalerie[1].


Oui, il y a toujours du mouvement dans cette bataille. Voilà bien vos chevaux, je les reconnais ; ces hommes blessés, morts ou mourants, ce tumulte, ce feu, cette obscurité, toutes ces scènes militaires et terribles sont de vous. Ce soldat s’élance bien ; celui-là frappe à merveille ; cet autre tombe on ne peut mieux ; mais cela n’est plus hors de la toile, la chaleur du pinceau s’est évanouie…

On dit que Casanove tenait, depuis cinq à six ans, renfermé dans une maison de campagne un jeune peintre appelé Loutherbourg qui finissait ses tableaux, et peu s’en faut que la chose ne soit démontrée.

Les tableaux que Casanove a exposés dans ce Salon sont fort inférieurs à ceux du Salon précédent. Le pouce de Loutherbourg y manque, je veux dire cette manière de faire longue, pénible, forte et hardie, qui consiste à placer des épaisseurs de couleurs sur d’autres qui semblent percer à travers et qui leur servent comme de réserves.

  1. Tableau accepté par l’Académie pour la réception de l’auteur.