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temps en temps vous avez arraché le pinceau de la main de votre pauvre gendre ? Allons, vous rougissez, n’en parlons plus. Il y a quelques têtes de juges qui ne sont pas mal. L’ordonnance pèche, ce me semble, en ce que l’effet demandait que l’accusée et l’orateur fussent isolés du reste. L’orateur n’est pas mauvais ; mais qu’il est loin de la grandeur, de l’enthousiasme, de la chaleur et de tout le caractère d’un Périclès ou d’un Démosthène qui eût parlé pour sa maîtresse ! Le caractère de la Phryné est faux et petit ; elle craint, elle a honte, elle tremble, elle a peur. Celle qui ose braver les dieux ne doit pas craindre de mourir. Je l’aurais faite grande, droite, intrépide, telle à peu près que Tacite nous montre la femme d’un général gaulois passant avec noblesse, fièrement et les yeux baissés, entre les files des soldats romains. On l’aurait vue de la tête aux pieds lorsque l’orateur eût écarté le voile qui couvrait sa tête ; on aurait vu ses belles épaules, ses beaux bras, sa belle gorge, et par son attitude je l’aurais fait concourir à l’action de l’orateur au moment où il disait aux juges : « Vous qui êtes assis comme les vengeurs des dieux offensés, voyez cette femme qu’ils se sont complu à former, et, si vous l’osez, détruisez leur plus bel ouvrage. »

Le visage de sa Phryné a le ton léché, faible et pointillé de ses miniatures, ce qui prouve qu’il a fait ses miniatures.


GREUZE.


C’est vraiment là mon homme que ce Greuze. Oubliant pour un moment ses petites compositions, qui me fourniront des choses agréables à lui dire, j’en viens tout de suite à son tableau de la Piété filiale, qu’on intitulerait mieux : De la récompense de la bonne éducation donnée[1].

  1. Ce tableau, désigné dans le livret de 1703 sous le nom de la Piété filiale, est connu sous le nom du Paralytique. Il est aujourd’hui en Russie et fait partie de la collection de l’Ermitage, où, grâce aux Salons de Diderot, l’école française de la dernière moitié du xviiie siècle se trouve mieux représentée qu’elle ne l’était, il y a peu d’années, dans notre musée du Louvre. Ajoutons que le classement adopté en 1848, et surtout l’excellent catalogue de l’école française publié depuis par M. Villot, contribuent maintenant à faire apprécier comme elles le méritent les peintures et les sculptures du xviiie siècle, dont une grande partie avait, sous la déplorable influence de l’école de l’empire, été reléguée dans les caves et dans les greniers du Louvre et de Versailles. (Note de M. Walferdin.) — N° 140.