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et entendre ce qu’ils diraient des ouvrages de Vernet ! Il n’est presque pas possible d’en parler, il faut les voir.

Quelle immense variété de scènes et de figures ! quelles eaux ! quels ciels ! quelle vérité ! quelle magie ! quel effet !

S’il allume du feu, c’est à l’endroit où son éclat semblerait devoir éteindre le reste de la composition. La fumée se lève épaisse, se raréfie peu à peu, et va se perdre dans l’atmosphère à des distances immenses.

S’il projette des objets sur le cristal des mers, il sait l’en éteindre à la plus grande profondeur sans lui faire perdre ni sa couleur naturelle, ni sa transparence.

S’il y fait tomber la lumière, il sait l’en pénétrer ; on la voit trembler et frémir à sa surface.

S’il met des hommes en action, vous les voyez agir.

S’il répand des nuages dans l’air, comme ils y sont suspendus légèrement ! comme ils marchent au gré des vents ! quel espace entre eux et le firmament !

S’il élève un brouillard, la lumière en est affaiblie, et à son tour toute la masse vaporeuse en est empreinte et colorée. La lumière devient obscure et la vapeur devient lumineuse.

S’il suscite une tempête, vous entendez siffler les vents et mugir les flots ; vous les voyez s’élever contre les rochers et les blanchir de leur écume. Les matelots crient ; les flancs du bâtiment s’entr’ouvrent ; les uns se précipitent dans les eaux ; les autres, moribonds, sont étendus sur le rivage. Ici des spectateurs élèvent leurs mains aux cieux ; là une mère presse son enfant contre son sein ; d’autres s’exposent à périr pour sauver leurs amis ou leurs proches ; un mari tient entre ses bras sa femme à demi pâmée ; une mère pleure sur son enfant noyé ; cependant le vent applique ses vêtements contre son corps et vous en fait discerner les formes ; des marchandises se balancent sur les eaux, et des passagers sont entraînés au fond des gouffres.

C’est Vernet qui sait rassembler les orages, ouvrir les cataractes du ciel et inonder la terre ; c’est lui qui sait aussi, quand il lui plaît, dissiper la tempête et rendre le calme à la mer, la sérénité aux cieux. Alors toute la nature sortant comme du chaos, s’éclaire d’une manière enchanteresse et reprend tous ses charmes.