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entre elles, on rapporte à un même sens toutes les couleurs, et à un autre sens tous les sons ; et il paraît que nos sens ont chacun leur organe. Or, si vous appliquez l’observation précédente au bon et au beau, vous verrez qu’ils sont exactement dans ce cas.

7º Les défenseurs du sens interne entendent, par beau, l’idée que certains objets excitent dans notre âme, et par le sens interne du beau, la faculté que nous avons de recevoir cette idée ; et ils observent que les animaux ont des facultés semblables à nos sens extérieurs, et qu’ils les ont même quelquefois dans un degré supérieur à nous ; mais qu’il n’y en a pas un qui donne un signe de ce qu’on entend ici par sens interne. Un être, continuent-ils, peut donc avoir en entier la même sensation extérieure que nous éprouvons, sans observer entre les objets les ressemblances et les rapports ; il peut même discerner ces ressemblances et ces rapports sans en ressentir beaucoup de plaisir ; d’ailleurs les idées seules de la figure et des formes, etc., sont quelque chose de distinct du plaisir. Le plaisir peut se trouver où les proportions ne sont ni considérées ni connues ; il peut manquer, malgré toute l’attention qu’on donne à l’ordre et aux proportions. Comment nommerons-nous donc cette faculté qui agit en nous sans que nous sachions bien pourquoi ? Sens interne.

8º Cette dénomination est fondée sur le rapport de la faculté qu’elle désigne avec les autres facultés. Ce rapport consiste principalement en ce que le plaisir que le sens interne nous fait éprouver est différent de la connaissance des principes. La connaissance des principes peut l’accroître ou le diminuer ; mais cette connaissance n’est pas lui ni sa cause. Ce sens a des plaisirs nécessaires ; car la beauté et la laideur d’un objet est toujours la même pour nous, quelque dessein que nous puissions former d’en juger autrement. Un objet désagréable, pour être utile, ne nous en paraît pas plus beau ; un bel objet, pour être nuisible, ne nous paraît pas plus laid. Proposez-nous le monde entier pour nous contraindre par la récompense à trouver belle la laideur, et laide la beauté ; ajoutez à ce prix les plus terribles menaces, vous n’apporterez aucun changement à nos perceptions et au jugement du sens interne : notre bouche louera ou blâmera à votre gré ; mais le sens interne restera incorruptible.