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objets ! Et ces bœufs qui se reposent au pied de ces montagnes, ne vivent-ils pas ? ne ruminent-ils pas ? N’est-ce pas là la vraie couleur, le vrai caractère, la vraie peau de ces animaux ? Quelle intelligence et quelle vigueur ! Cet enfant naquit donc le pouce passé dans la palette ? Où peut-il avoir appris ce qu’il sait ? Dans l’âge mûr, avec les plus heureuses dispositions, après une longue expérience, on s’élève rarement à ce point de perfection. L’œil est partout arrêté, récréé, satisfait. Voyez ces arbres ; regardez comme ce long sillon de lumière éclaire cette verdure, se joue entre les brins de l’herbe et semble leur donner de la transparence. Et l’accord et l’effet de ces petites masses de roches détachées et répandues sur le devant ne vous frappent-ils pas ? Ah ! mon ami, que la nature est belle dans ce petit canton ! arrêtons-nous-y ; la chaleur du jour commence à se faire sentir, couchons-nous le long de ces animaux. Tandis que nous admirerons l’ouvrage du Créateur, la conversation de ce pâtre et de cette paysanne nous amusera ; nos oreilles ne dédaigneront pas les sons rustiques de ce bouvier, qui charme le silence de cette solitude et trompe les ennuis de sa condition en jouant de la flûte. Reposons-nous ; vous serez à côté de moi, je serai à vos pieds tranquille et en sûreté, comme ce chien, compagnon assidu de la vie de son maître et garde fidèle de son troupeau ; et lorsque le poids du jour sera tombé nous continuerons notre route, et dans un temps plus éloigné, nous nous rappellerons encore cet endroit enchanté et l’heure délicieuse que nous y avons passée.

S’il ne fallait pour être artiste que sentir vivement les beautés de la nature et de l’art, porter dans son sein un cœur tendre, avoir reçu une âme mobile au souffle le plus léger, être né celui que la vue ou la lecture d’une belle chose enivre, transporte, rend souverainement heureux, je m’écrierais en vous embrassant, en jetant mes bras autour du cou de Loutherbourg ou de Greuze : « Mes amis, son pittor anch’io. »

La couleur et la touche de Loutherbourg sont fortes ; mais, il faut l’avouer, elles n’ont ni la facilité ni toute la vérité de celles de Vernet. Cependant, a-t-on dit, s’il est un peu trop vert dans le paysage que vous venez de décrire, c’est peut-être qu’il a craint qu’en se dégradant sur un long espace il ne finît par être trop faible. Mais ceux qui parlent ainsi ne sont pas artistes.