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Il me semble qu’il vaudrait autant ne pas faire les choses à demi, et qu’il n’en coûterait pas plus de rendre la santé avec la vie. Voyez-moi un peu ce Lazare de Deshays ; je vous assure qu’il lui faudra plus de six mois pour se refaire de sa résurrection.

Sans plaisanter, ce morceau n’est pas sans effet ; les groupes en sont bien distribués ; le Lazare avec son linceul est peint largement. Cependant je ne vous conseillerais pas de l’opposer à celui de Rembrandt ou de Jouvenet. Si vous voulez être étonné, allez à Saint-Martin des Champs voir le même sujet traité par Jouvenet. Quelle vie ! quels regards ! quelle force d’expression ! quelle joie ! quelle reconnaissance ! Un assistant lève le voile qui couvrait cette tête étonnante et vous la montre subitement. Quelle différence encore entre ces amis qui tendent les mains au ressuscité de Deshays et cet homme prosterné qui éclaire avec un flambeau la scène de Jouvenet ! Quand on l’a vu une fois, on ne l’oublie jamais. L’idée de Deshays n’est pourtant pas sans mérite, non ; son tableau est petit, mais la manière en est grande.

Mais que penseriez-vous de moi, si j’osais vous dire que toutes ces têtes de ressuscités, belles sans doute et du plus grand effet, sont fausses ? Patience, écoutez-moi. Est-ce qu’un homme sait qu’il est mort ? Est-ce qu’il sait qu’il est ressuscité ? Je m’en rapporte à vous, marquis de la Vallée de Josaphat, chevalier sans peur de la résurrection, illustre Montamy, vous qui avez calculé géométriquement la place qu’il faudra à tout le monde au grand jour du jugement, et qui, à l’exemple de Notre-Seigneur entre les deux larrons, aurez la bonté de placer dans ce moment critique à votre droite Grimm l’hérétique et à votre gauche Diderot le mécréant, afin de nous faire passer en paradis comme les grands seigneurs font passer la contrebande dans leurs carrosses aux barrières de Paris ; illustre Montamy, je m’en rapporte à vous : n’est-il pas vrai que de tous ceux qui assistent à une résurrection, le ressuscité est un des mieux autorisés à n’y pas croire ? Pourquoi donc cet étonnement, ces marques de sensibilité et tous ces signes caractéristiques de la connaissance de l’état qui a précédé et du bienfait rendu que les peintres ne manquent jamais de donner à leurs ressuscités ? La seule expression vraie qu’ils puissent avoir est celle d’un homme qui sort d’un profond sommeil ou d’une longue défail-