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d’une grande correction ; que celle de Joseph n’est pas assez jeune ; que ce tapis rouge qui couvre ce bout de toilette est dur ; que cette draperie jaune sur laquelle la femme a une de ses mains appuyée est crue, imite l’écorce et blesse vos yeux délicats. Je me moque de toutes vos observations et je m’en tiens à mon choix.

Et puis encore une petite digression, s’il vous plaît. Je suis dans mon cabinet, d’où il faut que je voie tous ces tableaux ; cette contention me fatigue, et la digression me repose.

Assemblez confusément des objets de toute espèce et de toutes couleurs, du linge, des fruits, du papier, des livres, des étoffes et des animaux, et vous verrez que l’air et la lumière, ces deux harmoniques universels, les accorderont tous, je ne sais comment, par des reflets imperceptibles ; tout se liera, les disparates s’affaibliront, et votre œil ne reprochera rien à l’ensemble. L’art du musicien qui, en touchant sur l’orgue l’accord parfait d’ut, porte à votre oreille les dissonants ut, mi, sol, si, ré, ut, en est venu là ; celui du peintre n’y viendra jamais. C’est que le musicien vous envoie les sons mêmes, et que ce que le peintre broie sur sa palette, ce n’est pas de la chair, de la laine, du sang, la lumière du soleil, l’air de l’atmosphère, mais des terres, des sucs de plantes, des os calcinés, des pierres broyées, des chaux métalliques. De là l’impossibilité de rendre les reflets imperceptibles des objets les uns sur les autres ; il y a pour lui des couleurs ennemies qui ne se réconcilieront jamais. De là la palette particulière, un faire, un technique propre à chaque peintre. Qu’est-ce que ce technique ? L’art de sauver un certain nombre de dissonances, d’esquiver les difficultés supérieures à l’art. Je défie le plus hardi d’entre eux de suspendre le soleil ou la lune au milieu de sa composition sans offusquer ces deux astres ou de vapeurs ou de nuages ; je le défie de choisir son ciel tel qu’il est en nature, parsemé d’étoiles brillantes comme dans la nuit la plus sereine. De là la nécessité d’un certain choix d’objets et de couleurs ; encore après ce choix, quelque bien fait qu’il puisse être, le meilleur tableau, le plus harmonieux, n’est-il qu’un tissu de faussetés qui se couvrent les unes les autres. Il y a des objets qui gagnent, d’autres qui perdent, et la grande magie consiste à approcher tout près de nature et à faire que tout perde ou