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Les gens du monde jettent un regard dédaigneux et distrait sur les grandes compositions, et ne sont arrêtés que par les portraits dont ils ont les originaux présents.

L’homme de lettres fait tout le contraire ; passant rapidement sur les portraits, les grandes compositions fixent toute son attention.

Le peuple regarde tout et ne s’entend à rien.

C’est lorsqu’ils se rencontrent au sortir de là qu’ils sont plaisants à entendre. L’un dit : « Avez-vous vu le Mariage de la Vierge ? c’est un beau morceau !

— Non. Mais vous, que dites-vous du Portrait de la comtesse ? c’est cela qui est délicieux.

— Moi ! je ne sais seulement pas si votre comtesse s’est fait peindre. Je m’amuserais autour d’un portrait, tandis que je n’ai ni trop d’yeux ni trop de temps pour le Joseph de Deshays ou le Paralytique de Greuze !

— Ah ! oui ; c’est cet homme qui est à côté de l’escalier et à qui l’on va donner l’extrême-onction… »

C’est ainsi que rien ne passe sans éloge et sans blâme : celui qui vise à l’approbation générale est un fou. Greuze, pourquoi faut-il qu’une impertinence t’afflige ? La foule est continuellement autour de ton tableau, il faut que j’attende mon tour pour en approcher. N’entends-tu pas la voix de la surprise et de l’admiration qui s’élève de tous côtés ? Ne sais-tu pas que tu as fait une chose sublime ? Que te faut-il de plus que ton propre suffrage et le nôtre ?

Tant que les peintres portraitistes ne me feront que des ressemblances sans composition, j’en parlerai peu ; mais lorsqu’ils auront une fois senti que pour intéresser il faut une action, alors ils auront tout le talent des peintres d’histoire, et ils me plairont indépendamment du mérite de la ressemblance.

Il s’est élevé ici une contestation singulière entre les artistes et les gens du monde. Ceux-ci ont prétendu que le mérite principal d’un portrait était d’être bien dessiné et bien peint. Eh ! que nous importe, disaient ceux-ci, que les Van Dyck ressemblent ou ne ressemblent pas ? En sont-ils moins à nos yeux des chefs-d’œuvre ? Le mérite de ressembler est passager ; c’est celui du pinceau qui émerveille dans le moment et qui éternise l’ouvrage. — C’est une chose bien douce pour nous, leur a-t-on