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ce que M. Crousaz a bien senti, aussi s’occupe-t-il ensuite à fixer les caractères du beau : il en compte cinq, la variété, l’unité, la régularité, l’ordre, la proportion.

D’où il s’ensuit, ou que la définition de saint Augustin est incomplète, ou que celle de M. Crousaz est redondante. Si l’idée d’unité ne renferme pas les idées de variété, de régularité, d’ordre et de proportion, et si ces qualités sont essentielles au beau, saint Augustin n’a pas dû les omettre ; si l’idée d’unité les renferme, M. Crousaz n’a pas dû les ajouter.

M. Crousaz ne définit point ce qu’il entend par variété ; il semble entendre par unité, la relation de toutes les parties à un seul but ; il fait consister la régularité dans la position semblable des parties entre elles ; il désigne par ordre une certaine dégradation de parties, qu’il faut observer dans le passage des unes aux autres ; et il définit la proportion, l’unité assaisonnée de variété, de régularité et d’ordre dans chaque partie.

Je n’attaquerai point cette définition du beau par les choses vagues qu’elle contient ; je me contenterai seulement d’observer ici qu’elle est particulière, et qu’elle n’est applicable qu’à l’architecture, ou tout au plus à de grands touts dans les autres genres, à une pièce d’éloquence, à un drame, etc., mais non pas à un mot, à une pensée, à une portion d’objet.

M. Hutcheson, célèbre professeur de philosophie morale, dans l’université de Glasgow, s’est fait un système particulier : il se réduit à penser qu’il ne faut pas plus demander qu’est-ce que le beau, que demander qu’est-ce que le visible. On entend par visible, ce qui est fait pour être aperçu par l’œil ; et M. Hutcheson entend par beau, ce qui est fait pour être saisi par le sens interne du beau. Son sens interne du beau est une faculté par laquelle nous distinguons les belles choses, comme le sens de la vue est une faculté par laquelle nous recevons la notion des couleurs et des figures. Cet auteur et ses sectateurs mettent tout en œuvre pour démontrer la réalité et la nécessité de ce sixième sens ; et voici comment ils s’y prennent[1] :

1º Notre âme, disent-ils, est passive dans le plaisir et dans le déplaisir. Les objets ne nous affectent pas précisément comme

  1. L’ouvrage d’Hutcheson, Recherches sur l’origine des idées que nous avons de la Beauté et de la Vertu, a été traduit en français par Eidous, Amsterdam (Paris, Durand), 1749, 2 vol. in-8o.