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SALON DE 1763

À MON AMI MONSIEUR GRIMM.

Bénie soit à jamais la mémoire de celui qui, en instituant cette exposition publique de tableaux, excita l’émulation entre les artistes, prépara à tous les ordres de la société, et surtout aux hommes de goût, un exercice utile et une récréation douce, recula parmi nous la décadence de la peinture, et de plus de cent ans peut-être, et rendit la nation plus instruite et plus difficile en ce genre !

C’est le génie d’un seul qui perfectionne les artistes. Pourquoi les anciens eurent-ils de si grands peintres et de si grands sculpteurs ? C’est que les récompenses et les honneurs éveillèrent les talents, et que le peuple, accoutumé à regarder la nature et à comparer les productions des arts, fut un juge redoutable. Pourquoi de si grands musiciens ? C’est que la musique faisait partie de l’éducation générale : on présentait une lyre à tout enfant bien né. Pourquoi de si grands poëtes ? C’est qu’il y avait des combats de poésie et des couronnes pour le vainqueur. Qu’on institue parmi nous les mêmes luttes, qu’il soit permis d’espérer les mêmes honneurs et les mêmes récompenses, et bientôt nous verrons les beaux-arts s’avancer rapidement à la perfection. J’en excepte l’éloquence : la véritable éloquence ne se montrera qu’au milieu des grands intérêts publics. Il faut que l’art de la parole promette à l’orateur les premières dignités de l’État ; sans cette attente, l’esprit, occupé de sujets imaginaires et donnés, ne s’échauffera jamais d’un feu réel, d’une chaleur profonde, et l’on n’aura que des rhéteurs. Pour bien dire, il faut être tribun du peuple ou pou-