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On voit dans la sœur aînée, qui est appuyée debout sur le dos du fauteuil de son père, qu’elle crève de douleur et de jalousie de ce qu’on a accordé le pas sur elle à sa cadette. Elle a la tête portée sur une de ses mains, et lance sur les fiancés des regards curieux, chagrins et courroucés.

Le père est un vieillard de soixante ans, en cheveux gris, un mouchoir tortillé autour de son cou ; il a un air de bonhomie qui plaît. Les bras étendus vers son gendre, il lui parle avec une effusion de cœur qui enchante ; il semble lui dire : « Jeannette est douce et sage ; elle fera ton bonheur ; songe à faire le sien… » ou quelque autre chose sur l’importance des devoirs du mariage… Ce qu’il dit est sûrement touchant et honnête. Une de ses mains, qu’on voit en dehors, est hâlée et brune ; l’autre, qu’on voit en dedans, est blanche ; cela est dans la nature.

Le fiancé est d’une figure tout à fait agréable. Il est hâlé de visage ; mais on voit qu’il est blanc de peau ; il est un peu penché vers son beau-père ; il prête attention à son discours, il en a l’air pénétré ; il est fait au tour, et vêtu à merveille, sans sortir de son état. J’en dis autant de tous les autres personnages.

Le peintre a donné à la fiancée une figure charmante, décente et réservée ; elle est vêtue à merveille. Ce tablier de toile blanc fait on ne peut pas mieux ; il y a un peu de luxe dans sa garniture ; mais c’est un jour de fiançailles. Il faut voir comme les plis de tous les vêtements de cette figure et des autres sont vrais. Cette fille charmante n’est point droite ; mais il y a une légère et molle inflexion dans toute sa figure et dans tous ses membres qui la remplit de grâce et de vérité. Elle est jolie vraiment, et très-jolie. Une gorge faite au tour qu’on ne voit point du tout ; mais je gage qu’il n’y a rien là qui la relève, et que cela se soutient tout seul. Plus à son fiancé, et elle n’eût pas été assez décente ; plus à sa mère ou à son père, et elle eût été fausse. Elle a le bras à demi passé sous celui de son futur époux, et le bout de ses doigts tombe et appuie doucement sur sa main ; c’est la seule marque de tendresse qu’elle lui donne, et peut-être sans le savoir elle-même ; c’est une idée délicate du peintre.

La mère est une bonne paysanne qui touche à la soixan-