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Platon a écrit deux dialogues du beau, le Phèdre et le Grand Hippias : dans celui-ci il enseigne plutôt ce que le beau n’est pas, que ce qu’il est ; et dans l’autre, il parle moins du beau que de l’amour naturel qu’on a pour lui. Il ne s’agit dans le Grand Hippias que de confondre la vanité d’un sophiste ; et dans le Phèdre, que de passer quelques moments agréables avec un ami dans un lieu délicieux.

Saint Augustin avait composé un traité sur le beau ; mais cet ouvrage est perdu, et il ne nous reste de saint Augustin sur cet objet important, que quelques idées éparses dans ses écrits, par lesquelles on voit que ce rapport exact des parties d’un tout entre elles, qui le constitue Un, était, selon lui, le caractère distinctif de la beauté. Si je demande à un architecte, dit ce grand homme, pourquoi, ayant élevé une arcade à une des ailes de son bâtiment, il en fait autant à l’autre, il me répondra sans doute, que c’est afin que les membres de son architecture symétrisent bien ensemble. Mais pourquoi cette symétrie vous paraît-elle nécessaire ? Par la raison qu’elle plaît. Mais qui êtes-vous pour vous ériger en arbitre de ce qui doit plaire ou ne pas plaire aux hommes ? et d’où savez-vous que la symétrie nous plaît ? J’en suis sûr, parce que les choses ainsi disposées ont de la décence, de la justesse, de la grâce ; en un mot, parce que cela est beau. Fort bien ; mais, dites-moi, cela est-il beau parce qu’il plaît ? ou cela plaît-il parce qu’il est beau ? Sans difficulté cela plaît parce qu’il est beau. Je le crois comme vous ; mais je vous demande encore pourquoi cela est-il beau ? et si ma question vous embarrasse, parce qu’en effet les maîtres de votre art ne vont guère jusque-là, vous conviendrez du moins sans peine que la similitude, l’égalité, la convenance des parties de votre bâtiment, réduit tout à une espèce d’unité qui contente la raison. C’est ce que je voulais dire. Oui ; mais prenez-y garde, il n’y a point de vraie unité dans les corps, puisqu’ils sont tous composés d’un nombre innombrable de parties, dont chacune est encore composée d’une infinité d’autres. Où la voyez-vous donc, cette unité qui vous dirige dans la construction de votre dessin ; cette unité que vous regardez dans votre art comme une loi inviolable ; cette unité que votre édifice doit imiter pour être beau, mais que rien sur la terre ne peut imiter parfaitement, puisque rien sur la terre ne peut être par-