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cette pauvre Marchande de marrons[1], tandis que les autres la volent.

Ce Berger[2], qui tient un chardon à la main, et qui tente le sort pour savoir s’il est aimé de sa bergère, ne signifie pas grand’chose. À l’élégance du vêtement, à l’éclat des couleurs, on le prendrait presque pour un morceau de Boucher. Et puis, si on ne savait pas le sujet, on ne le devinerait jamais.

Le Paralytique qui est secouru par ses enfants[3], ou le dessin que le peintre a appelé le Fruit de la bonne éducation, est un tableau de mœurs. Il prouve que ce genre peut fournir des compositions capables de faire honneur aux talents et aux sentiments de l’artiste. Le vieillard est dans son fauteuil ; ses pieds sont supportés par un tabouret. Sa tête, celle de son fils et celle de sa femme sont d’une beauté rare. Greuze a beaucoup d’esprit et de goût. Lorsqu’il travaille, il est tout à son ouvrage ; il s’affecte profondément : il porte dans le monde le caractère du sujet qu’il traite dans son atelier, triste ou gai, folâtre ou sérieux, galant ou réservé, selon la chose qui a occupé le matin son pinceau et son imagination.

C’est un beau dessin que celui du Fermier incendié. Une mère sur le visage de laquelle la douleur et la misère se montrent ; des filles aussi affligées et aussi misérables, couchées à terre autour d’elle ; des enfants affamés qui se disputent un morceau de pain sur ses genoux ; un autre qui mange à la dérobée dans un coin ; le père de cette famille qui s’adresse à la commisération des passants ; tout est pathétique et vrai. J’aime assez dans un tableau un personnage qui parle au spectateur sans sortir du sujet. Ici il n’y a pas d’autre passant que celui qui regarde. La scène est supposée au coin d’une rue. Le lieu en pouvait être mieux choisi. Pourquoi n’avoir pas placé tous ces infortunés sur des débris incendiés de leur chaumière ? J’aurais vu les ravages du feu, des murs renversés, des poutres à demi consumées, et une foule d’autres objets touchants et pittoresques.

Il y a de Greuze plusieurs têtes qui sont autant de petits

  1. Dessin ; no 105.
  2. Tableau ovale, haut de deux pieds ; no 101.
  3. Ce dessin, esquisse de la composition célèbre gravée par Flipart, et qui est aujourd’hui à l’Ermitage, fait partie de la collection de M. Walferdin.