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La Jeune Indienne de Tangiaor[1], qui a été amenée en France par un officier français, ne manque pas de beauté avec son teint basané. Doyen l’a peinte dans le costume et avec les ornements du pays ; mais j’aime mieux le profil qu’en a fait M. de Carmontelle, il est plus vrai et plus agréable.

Mais en voilà bien assez sur Doyen. Je ne vous parlerai pas de ses autres tableaux. Je me rappelle vaguement l’Espérance qui nourrit l’Amour. Ce tableau m’a paru médiocre.


PARROCEL.


L’Adoration des Rois[2] de Parrocel est si faible, si faible, et d’invention, et de dessin, et de couleur ! Parrocel est à Vien ce que Vien est à Le Sueur. Vien est la moyenne proportionnelle aux deux autres. Je demanderais volontiers à M. Parrocel comment, quand on a la composition d’un sujet par Rubens présente à l’imagination, on peut avoir le courage de tenter le même sujet. Il me semble qu’un grand peintre qui a précédé, est plus incommode pour ses successeurs qu’un grand littérateur pour nous. L’imagination me semble plus tenace que la mémoire. J’ai les tableaux de Raphaël plus présents que les vers de Corneille, que les beaux morceaux de Racine. Il y a des figures qui ne me quittent point. Je les vois ; elles me suivent, elles m’obsèdent. Par exemple, ce Saint Barnabé qui déchire ses vêtements sur sa poitrine, et tant d’autres, comment ferai-je pour écarter ces spectres-là ? et comment les peintres font-ils ? Il y a dans le tableau de Parrocel un coussin qui me choque étrangement. Dites-moi comment un coussin de couleur a pu se trouver dans une étable où la misère réfugiait la mère et l’enfant, et où l’haleine de deux animaux réchauffait un nouveau-né contre la rigueur de la saison ? Apparemment qu’un des rois avait envoyé un coussin d’avance par son écuyer pour pouvoir se prosterner avec plus de commodité. Les artistes sont tellement attentifs aux beautés techniques, qu’ils négligent toutes ces impertinences-là dans le jugement qu’ils portent d’une production. Faudra-t-il que nous les imitions ? Et pourvu que

  1. No 91. Ce tableau appartenait, comme le précédent, à M. le prince de Turenne.
  2. Tableau de 8 pieds 9 pouces ; no 95.