Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


RECHERCHES PHILOSOPHIQUES


SUR


L’ORIGINE ET LA NATURE


DU BEAU



Avant que d’entrer dans la recherche difficile de l’origine du beau, je remarquai d’abord, avec tous les auteurs qui en ont écrit, que, par une sorte de fatalité, les choses dont on parle le plus parmi les hommes sont assez ordinairement celles qu’on connaît le moins ; et que telle est, entre beaucoup d’autres, la nature du beau. Tout le monde raisonne du beau : on l’admire dans les ouvrages de la nature ; on l’exige dans les productions des arts ; on accorde ou l’on refuse cette qualité à tout moment ; cependant si l’on demande aux hommes du goût le plus sûr et le plus exquis, quelle est son origine, sa nature, sa notion précise, sa véritable idée, son exacte définition ; si c’est quelque chose d’absolu ou de relatif ; s’il y a un beau éternel, immuable, règle et modèle du beau subalterne, ou s’il en est de la beauté comme des modes, on voit aussitôt les sentiments partagés, et les uns avouent leur ignorance, les autres se jettent dans le scepticisme. Comment se fait-il que presque tous les hommes soient d’accord qu’il y a un beau ; qu’il y en ait tant entre eux qui le sentent vivement où il est, et que si peu sachent ce que c’est ?

Pour parvenir, s’il est possible, à la solution de ces difficultés, nous commencerons par exposer les différents sentiments des auteurs qui ont écrit le mieux sur le beau ; nous proposerons ensuite nos idées sur le même sujet, et nous finirons cet article par des observations générales sur l’entendement humain et ses opérations relatives à la question dont il s’agit.