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Il a élevé son Diomède sur un tas de cadavres ; il est terrible. Effacé sur un de ses côtés, il porte le fer de son javelot en arrière. Il insulte à Vénus qu’on voit au loin renversée entre les bras d’Iris. Le sang coule de sa main blessée le long de son bras. Pallas plane sur la tête de Diomède ; elle a un beau caractère. Apollon, enveloppé d’une nuée, se jette entre le héros grec et Énée qu’on voit renversé. Le dieu effraye le vainqueur de son regard et de son égide. Cependant on se massacre et le sang coule de tous côtés. À droite, le Scamandre et ses nymphes se sauvent d’effroi ; à gauche, des chevaux sont abattus, un guerrier renversé sur le visage a l’épaule traversée d’un javelot qui s’est rompu dans la blessure. Le sang ruisselle sur le cadavre et sur la crinière blanche d’un cheval massacré, et dégoutte de cette crinière dans les eaux du fleuve, qui en sont ensanglantées.

Cette composition est, comme vous voyez, toute d’effroi. Le moment qui précédait la blessure eût offert le contraste du terrible et du délicat ; Vénus, la déesse de la volupté, toute nue au milieu du sang et des armes, secourant son fils contre un homme terrible qui l’eût menacée de sa lance.

Quoi qu’il en soit, le tableau de M. Doyen produit un grand effet. Il est plein de feu, de grandeur, de mouvement et de poésie. On a dit beaucoup de mal de sa Vénus ; mais en revanche son fleuve est beau, ses nymphes sont belles. J’ai déjà parlé de la tête de Pallas ; celle d’Apollon est aussi d’un beau caractère. Cet homme traversé du javelot rompu, dont le sang va mouiller la crinière blanche du cheval abattu et teindre les eaux, donne de la terreur. L’attitude de son héros est fière, et son regard méprisant et féroce. On aurait pu lui donner plus de noblesse dans le visage ; rendre ces cadavres fraîchement égorgés, moins livides, écarter la confusion du groupe d’Énée, d’Apollon, du nuage et des cadavres, en y conservant le désordre, et éviter quelques autres défauts qui échappent dans la chaleur de la composition, et qui tiennent à la jeunesse de l’artiste ; mais le génie y est, et le jugement viendra sûrement. Ce peintre sait imaginer, ordonner, composer. La machine est grande ; ses figures se remuent. Il ne craint pas le travail.

On reproche à ses dieux de n’être qu’esquissés ; c’est qu’on