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VOIRIOT[1].


On loue un Portrait de M. Gilbert de Voisins, peint par Voiriot.


DOYEN.


Mais voici une des plus grandes compositions du Salon : c’est le Combat de Diomède et d’Énée[2], sujet tiré du cinquième livre de l’Iliade d’Homère. J’ai relu à l’occasion du tableau de Doyen, cet endroit du poëte. C’est un enchaînement de situations terribles et délicates, et toujours la couleur et l’harmonie qui conviennent. Il y a là soixante vers à décourager l’homme le mieux appelé à la poésie.

Voici, si j’avais été peintre, le tableau qu’Homère m’eût inspiré. On aurait vu Énée renversé aux pieds de Diomède. Vénus serait accourue pour le secourir : elle eût laissé tomber une gaze qui eût dérobé son fils à la fureur du héros grec. Au-dessus de la gaze, qu’elle aurait tenue suspendue de ses doigts délicats, se serait montrée la tête divine de la déesse, sa gorge d’albâtre, ses beaux bras et le reste de son corps, mollement balancé dans les airs. J’aurais élevé Diomède sur un amas de cadavres. Le sang eût coulé sous ses pieds. Terrible dans son aspect et dans son attitude, il eût menacé la déesse de son javelot. Cependant les Grecs et les Troyens se seraient entr’égorgés autour de lui. On aurait vu le char d’Énée fracassé, et l’écuyer de Diomède saisissant ses chevaux fougueux. Pallas aurait plané sur la tête de Diomède. Apollon aurait secoué à ses yeux sa terrible égide. Mars, enveloppé d’une nue obscure, se serait repu de ce spectacle terrible. On n’aurait vu que sa tête effrayante, le bout de sa pique et le nez de ses chevaux. Iris aurait déployé l’arc-en-ciel au loin. J’aurais choisi, comme vous voyez, le moment qui eût précédé la blessure de Vénus ; M. Doyen, au contraire, a préféré le moment qui suit.

  1. Guillaume Voiriot, né à Paris, nommé académicien en 1759, était membre de l’Institut de Bologne, de l’Académie de Florence et de celle de Rome.
  2. Tableau de 15 pieds 9 pouces de largeur sur 14 de hauteur ; no 90. Appartenant à M. le prince de Turenne.