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BOIZOT[1]


Ah ! monsieur Chardin, si Boizot eût été de vos amis, vous auriez mis son Télémaque chez Calypso[2] dans l’endroit obscur à côté du Repos de la Vierge de Millet. Imaginez que la scène se passe à table. On ne reconnaît Calypso qu’à une sottise qu’elle fait ; c’est de présenter une pêche à Télémaque, qui a bien plus d’esprit que la nymphe et son peintre, car il continue le récit de ses aventures sans prendre le fruit qu’on lui offre. Pourriez-vous me dire, mon ami, ce qui se passe dans la tête imbécile d’un artiste, lorsque ayant à caractériser une Calypso, il n’imagine rien de mieux que de lui faire faire les honneurs de la table ? Cette pêche présentée au fils d’Ulysse, et le bonnet carré de Saint Vincent de Paul, ne sont-ce pas deux idées bien ridicules ?


LENFANT[3].


Les deux dessins de bataille de Lenfant existent là bien clandestinement. Ce sont pourtant les Batailles de Lawfeld et de Fontenoy[4]. C’est qu’il n’y a rien de si ingrat que le genre de Van-der-Meulen. C’est qu’il faut être un grand coloriste, un grand dessinateur, un savant et délicat imitateur de la nature ; avoir une prodigieuse variété de ressources dans l’imagination, inventer une infinité d’accidents particuliers et de petites actions, exceller dans les détails, posséder toutes les qualités d’un grand peintre, et cela dans un haut degré, pour contrebalancer la froideur, la monotonie et le dégoût de ces longues files parallèles de soldats, de ces corps de troupes oblongs ou carrés, et la symétrie de notre tactique. Le temps des mêlées, des avantages de l’adresse et de la force de corps, et des grands tableaux de bataille est passé, à moins qu’on ne fasse d’imagination, ou qu’on ne remonte aux siècles d’Alexandre et de César.

  1. Né à Paris en 1702, mort dans la même ville en 1782. Était académicien depuis 1737.
  2. Tableau d’environ 3 pieds de large sur 2 pieds 6 pouces de haut ; no 51.
  3. Pierre Lenfant, né à Anet en 1704, mort en 1787 aux Gobelins. Élève de Ch. Parrocel. Académicien en 1745.
  4. Ces tableaux, qui étaient autrefois à l’Hôtel de la Guerre à Versailles, sont aujourd’hui au musée de cette ville.