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éloge ni critique, est médiocre. C’est bien pis quand on cherche le sujet, et qu’après l’avoir appris ou deviné on s’en tient à dire comme de la Guérison miraculeuse de saint Roch : c’est un pauvre assis à terre, vis-à-vis d’un ange qui lui dit je ne sais quoi.

En revanche, les Deux Familles de satyres me font un vrai plaisir. J’aime ce satyre à moitié ivre qui semble avec ses lèvres humer et savourer encore le vin. J’aime ses tréteaux rustiques, ses enfants, sa femme qui sourit et se plaît à l’achever. Il y a là dedans de la poésie, de la passion, des chairs, du caractère.

Est-ce que l’idée de ce tonneau percé par l’autre satyre ; ces jets de vin qui tombent dans la bouche de ses petits enfants étendus à terre sur la paille ; ces enfants gras et potelés ; cette femme qui se tient les côtés de rire de la manière dont son mari allaite ses enfants pendant son absence, ne vous plaît pas ? Et puis, voyez comme cela est peint. Est-ce que ces chairs-là ne sont pas bien vraies ? est-ce que tous ces êtres bizarres-là n’ont pas bien la physionomie de leur espèce capripède ?

Il me semble que nos peintres sont devenus coloristes. Les autres années le Salon avait, s’il m’en souvient, un air sombre, terne et grisâtre ; son coup d’œil cette fois-ci fait un autre effet. Il approche de celui d’une foire qui se tiendrait en pleine campagne où il y aurait des prés, des bois, des arbres, des champs et une foule d’habitants de la ville et de la campagne, diversement vêtus et mêlés les uns avec les autres. Si ma comparaison vous paraît singulière, elle est juste, et je suis persuadé que nos peintres n’en seraient pas mécontents.

La couleur est dans un tableau ce que le style est dans un morceau de littérature. Il y a des auteurs qui pensent ; il y a des peintres qui ont de l’idée. Il y a des auteurs qui savent distribuer leur matière ; il y a des peintres qui savent ordonner un sujet. Il y a des auteurs qui ont de l’exactitude et de la justesse ; il y a des peintres qui connaissent la nature et qui savent dessiner ; mais de tous les temps le style et la couleur ont été des choses précieuses et rares. Il est vrai que le sort du peintre ne ressemble pas en tout à celui de l’écrivain. C’est le style qui assure l’immortalité à un ouvrage de littérature ; c’est cette qualité qui charme les contemporains de l’auteur, et qui charmera les siècles à venir. Au contraire la couleur d’un mor-