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Polyeucte. Imaginons d’après ces vers la figure d’un fanatique qui les prononce, et nous verrons le saint Victor de Deshays.

Son Saint André a un genou sur le chevalet, il y monte ; un bourreau l’embrasse par le corps, et le traîne d’une main par sa draperie et de l’autre par les cuisses ; un autre le frappe d’un fouet ; un troisième lie et prépare un faisceau de verges. Des soldats écartent la foule. Une mère, plus voisine de la scène que les autres, garantit son enfant avec inquiétude. Il faut voir l’effroi et la curiosité de l’enfant. Le saint a les bras élevés, la tête renversée, et les regards tournés vers le ciel ; une barbe touffue couvre son menton. La constance, la foi, l’espérance et la douleur sont fondues sur son visage, qui est d’un caractère simple, fort, rustique et pathétique ; on souffre beaucoup à le voir. Une grosse draperie jetée sur le haut de sa tête retombe sur ses épaules. Toute la partie supérieure de son corps est nue par devant : ce sont bien les chairs, les rides, les muscles raides et secs, toutes les traces de la vieillesse. Il est impossible de regarder longtemps sans terreur cette scène d’inhumanité et de fureur. Toutes les figures sont grandes, la couleur vraie ; la scène se passe sous la tribune du préteur et de ses assistants. À droite de celui qui regarde, le préteur dans sa tribune avec ses assistants ; au-dessous, un bourreau et le chevalet ; vers le milieu, de l’autre côté du chevalet, le saint debout, appuyé d’un genou sur le chevalet ; derrière le saint, un bourreau qui le frappe de verges ; aux pieds de celui-ci, un autre bourreau qui lie un faisceau de verges ; derrière ces deux licteurs, un soldat qui repousse la foule : voilà la machine. Il faut voir après cela les détails, les têtes de ces satellites, leurs actions, le caractère du préteur et de ses assistants ; toute la figure du saint, tout le mouvement de la scène. Ma foi, ou il faut brûler tout ce que les plus grands peintres de temples ont fait de mieux, ou compter Deshays parmi eux.

Tout est beau dans le Saint Benoît[1] qui, près de mourir, vient recevoir le viatique à l’autel ; et l’acolyte qui est derrière le célébrant, et le célébrant avec son dos voûté, et sa tête rase et penchée ; et le jeune enfant vêtu de blanc qui est à genoux à côté du célébrant, et le second acolyte qui, placé debout

  1. Tableau de 8 pieds de haut sur 6 de large ; no 32. Aujourd’hui au musée d’Orléans.