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celui qui ne voit pas avec la plus grande satisfaction ce morceau, n’est pas digne d’admirer Le Sueur. Rien ne m’en paraît sublime ; mais tout m’en paraît beau. Je n’y trouve rien qui me transporte, mais tout m’en plaît et m’arrête. Il y règne d’abord une tranquillité, une convenance d’actions, une vérité de disposition, qui charment. Le saint Germain est assis ; il est vêtu de ses habits pontificaux. La jeune sainte est à genoux devant lui. Il lui présente la médaille ; elle étend la main pour la recevoir. Derrière saint Germain, il y a un autre évêque et quelques ecclésiastiques ; derrière la sainte, son père et sa mère ; son père qui a l’air d’un bon homme et sa mère pénétrée d’une joie qu’elle ne peut contenir. Entre la sainte et l’évêque, un aumônier en grand surplis, un peu penché, d’un beau caractère, et qui fait le plus bel effet. Autour de l’aumônier, des peuples qui s’élèvent sur leurs pieds et qui cherchent à voir la sainte. La sainte est dans la première jeunesse ; son vêtement est simple, à taille élégante et légère. Ce sont l’innocence et la grâce mêmes ; le vieil évêque a le caractère qu’il doit avoir. Et puis, une lumière douce, diffuse sur toute la composition, comme on la voit dans la nature, large, s’affaiblissant ou se fortifiant d’une manière imperceptible. Point de places luisantes ; point de taches noires ; et avec tout cela une vérité et une sagesse qui vous attachent secrètement. On est au milieu de la cérémonie ; on la voit, et rien ne vous détrompe. Peu de tableaux au Salon où il y ait autant à louer ; aucun où il y ait moins à reprendre. Les natures ne sont ici ni poétiques ni grandes ; c’est la chose même, sans presque aucune exagération. Ce n’est pas la manière de Rubens, ce n’est pas le goût des écoles italiennes, c’est la vérité, qui est de tous les temps et de toutes les contrées.


DESHAYS.


J’avais bien de l’impatience d’arriver à Deshays. Ce peintre est, à mon sens, le premier peintre de la nation ; il a plus de chaleur et de génie que Vien, et il ne le cède aucunement pour le dessin et pour la couleur à Van Loo, qui ne fera jamais rien qu’on puisse comparer au Saint André[1] ni au Saint

  1. Tableau de 14 pieds de haut sur 6 de large ; no 29. Pour l’église Saint-André de Rouen. Aujourd’hui au musée de cette ville ; gravé par Parizeau.