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M. HALLÉ.


Il n’y a pas, à mon gré, un morceau de M. le professeur Hallé qui vaille.

Les Génies de la Poésie, de l’Histoire, de la Physique et de l’Astronomie[1], sujets de dessus de porte dont on se propose de faire une tapisserie : c’est un charivari d’enfants. Toile immense, et beaucoup de couleurs.

Je ne sais si M. le professeur Hallé est un grand dessinateur ; mais il est sans génie. Il ne connaît pas la nature ; il n’a rien dans la tête, et c’est un mauvais peintre. Encore une fois, je ne me connais pas en dessin, et c’est toujours le côté par lequel l’artiste se défend contre l’homme de lettres. J’ai peur que les autres ne s’entendent pas plus en dessin que moi. Nous ne voyons jamais le nu ; la religion et le climat s’y opposent. Il n’en est pas de nous ainsi que des Anciens, qui avaient des bains, des gymnases, peu d’idée de la pudeur, des dieux et des déesses faits d’après des modèles humains, un climat chaud, un culte libertin. Nous ne savons ce que c’est que les belles proportions. Ce n’est pas sur une fille prostituée, sur un soldat aux gardes qu’on envoie chercher quatre fois par an, que cette connaissance s’acquiert. Et puis nos ajustements corrompent les formes. Nos cuisses sont coupées par des jarretières, le corps de nos femmes étranglé par des corps, nos pieds défigurés par des chaussures étroites et dures. Nous avons de la beauté deux jugements opposés, l’un de convention, l’autre d’étude. Ce jugement contradictoire, d’après lequel nous appelons beau dans la rue et dans nos cercles ce que nous appellerions laid dans l’atelier, et beau dans l’atelier ce qui nous déplairait dans la société, ne nous permet pas d’avoir une certaine sévérité de goût ; car il ne faut pas croire qu’on fasse comme on veut abstraction de ses préjugés, ni qu’on en ait impunément.

Mais nous voilà loin du professeur Hallé et de ses tableaux. Je laisse là ses deux petites pastorales où il y a la fausseté de

  1. Tableau de 10 pieds en carré, no 16. Au roi ; destiné à être exécuté en tapisserie dans la manufacture des Gobelins.