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de Pâris[1] Je ne sais ce que cet homme devient. Il est riche ; il a eu de l’éducation ; il a fait le voyage de Rome ; on dit qu’il a de l’esprit ; rien ne le presse de finir un ouvrage : d’où vient donc la médiocrité de presque toutes ses compositions ?

Mais je passais le Songe de saint Joseph[2], tableau de Jeaurat. C’est que ce Songe de saint Joseph n’est autre chose qu’un homme qui s’est endormi, la tête au-dessous des pieds d’un ange. Si vous y voyez davantage, à la bonne heure.

Pierre, mon ami, votre Christ, avec sa tête livide et pourrie, est un noyé qui a séjourné quinze jours au moins dans les filets de Saint-Cloud. Qu’il est bas ! qu’il est ignoble ! Pour vos femmes et le reste de votre composition, je conviens qu’il y a de la beauté, du caractère, de l’expression, de la sévérité de couleur ; mais mettez la main sur la conscience, et rendez gloire à la vérité. Votre Descente de Croix n’est-elle pas une imitation de celle du Carrache, qui est au Palais-Royal, et que vous connaissez bien ? Il y a dans le tableau du Carrache une mère du Christ assise, et dans le vôtre aussi. Cette mère se meurt de douleur dans Carrache, et chez vous aussi. Cette douleur attache toute l’action des autres personnages du Carrache, et des vôtres. La tête de son fils est posée sur ses genoux dans le Carrache, et dans notre ami M. Pierre. Les femmes du Carrache sont effrayées du péril de cette mère expirante, et les vôtres aussi. Le Carrache a placé sur le fond une sainte Anne qui s’élance vers sa fille, en poussant les cris les plus aigus, avec un visage où les traces de la longue douleur se confondent avec celles du désespoir. Vous n’avez pas osé copier votre maître jusque-là ; mais vous avez mis sur le fond de votre tableau un homme qui doit faire le même effet ; avec cette différence que votre Christ, comme je l’ai déjà dit, a l’air d’un noyé ou d’un supplicié, et que celui du Carrache est plein de noblesse. Que votre Vierge est froide et contournée en comparaison de celle du Carrache ! Voyez dans son tableau l’action de cette main immobile posée sur la poitrine de son fils, ce visage tiré, cet air de pâmoison, cette bouche entr’ouverte, ces yeux fermés ; et cette sainte Anne,

  1. Tableau de 21 pieds de large sur 14 de haut ; no 10. Appartenait au roi de Prusse.
  2. Tableau de 9 pieds de hauteur sur G de largeur ; no 11. Pour l’église Saint-Louis, à Versailles.