Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent toute l’absurdité ; avec tout cela on ne saurait quitter le tableau. Il vous attache. On y revient. C’est un vice si agréable, c’est une extravagance si inimitable et si rare ! Il y a tant d’imagination, d’effet, de magie et de facilité !

Quand on a longtemps regardé un paysage tel que celui que nous venons d’ébaucher, on croit avoir tout vu. On se trompe ; on y retrouve une infinité de choses d’un prix !… Personne n’entend connue Boucher l’art de la lumière et des ombres. Il est fait pour tourner la tête à deux sortes de personnes, les gens du monde et les artistes. Son élégance, sa mignardise, sa galanterie romanesque, sa coquetterie, son goût, sa facilité, sa variété, son éclat, ses carnations fardées, sa débauche, doivent captiver les petits-maîtres, les petites femmes, les jeunes gens, les gens du monde, la foule de ceux qui sont étrangers au vrai goût, à la vérité, aux idées justes, à la sévérité de l’art. Comment résisteraient-ils au saillant, aux pompons, aux nudités, au libertinage, à l’épigramme de Boucher ? Les artistes qui voient jusqu’à quel point cet homme a surmonté les difficultés de la peinture, et pour qui c’est tout que ce mérite qui n’est guère bien connu que d’eux, fléchissent le genou devant lui ; c’est leur dieu. Les gens d’un grand goût, d’un goût sévère et antique, n’en font nul cas. Au reste, ce peintre est à peu près en peinture ce que l’Arioste est en poésie. Celui qui est enchanté de l’un est inconséquent s’il n’est pas fou de l’autre. Ils ont, ce me semble, la même imagination, le même goût, le même style, le même coloris. Boucher a un faire qui lui appartient tellement, que dans quelque morceau de peinture qu’on lui donnât une figure à exécuter, on la reconnaîtrait sur-le-champ.


M. PIERRE[1].


Il y a de M. Pierre une Descente de Croix[2], une Fuite en Égypte[3], la Décollation de saint Jean-Baptiste[4], et le Jugement

  1. Jean-Baptiste-Marie Pierre, né à Paris en 1713, élève de Natoire, mort à Paris le 15 mai 1789, était, en 1761, écuyer, premier peintre de Mgr le duc d’Orléans, professeur depuis 1748.
  2. Tableau de 18 pieds de haut sur 10 de large ; no 11.
  3. Tableau de 5 pieds de haut sur 4 de large ; no 12.
  4. Tableau de 3 pieds de haut sur 4 de large ; no 13. Au Louvre, no 412.