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ami, si vous aurez remarqué que les peintres n’ont pas la même liberté que les poètes dans l’usage des flèches de l’Amour. En poésie, ces flèches partent, atteignent et blessent ; cela ne se peut en peinture. Dans un tableau, l’Amour peut menacer de sa flèche, mais il ne la peut jamais lancer sans produire un mauvais effet. Ici le physique répugne ; on oublie l’allégorie, et ce n’est plus un homme percé d’une métaphore, mais un homme percé d’un trait réel qu’on aperçoit. La première fois que vous rencontrerez sous vos yeux la Saison de l’Albane, où ce peintre a fait descendre Jupiter dans les antres de Vulcain, au milieu des Amours qui forgent des traits, et que vous verrez ce dieu blessé au milieu du corps d’un de ces traits, par un petit Amour insolent, vous me direz l’effet que vous éprouverez à l’aspect de cette flèche à demi enfoncée dans le corps, et dont le bois paraît à l’extérieur. Je suis sûr que vous en serez mécontent.

Il y a encore de Carle Van Loo deux tableaux représentant des jeux d’enfants, que je néglige, parce que je ne finirais point s’il fallait vous parler de tous.


PASTORALES ET PAYSAGES DE BOUCHER[1].


Quelles couleurs ! quelle variété ! quelle richesse d’objets et d’idées ! Cet homme a tout, excepté la vérité. Il n’y a aucune partie de ses compositions qui, séparée des autres, ne vous plaise ; l’ensemble même vous séduit. On se demande : Mais où a-t-on vu des bergers vêtus avec cette élégance et ce luxe ? Quel sujet a jamais rassemblé dans un même endroit, en pleine campagne, sous les arches d’un pont, loin de toute habitation, des femmes, des hommes, des enfants, des bœufs, des vaches, des moutons, des chiens, des bottes de paille, de l’eau, du feu, une lanterne, des réchauds, des cruches, des chaudrons ? Que fait là cette femme charmante, si bien vêtue, si propre, si voluptueuse ? et ces enfants qui jouent et qui dorment, sont-ce les siens ? et cet homme qui porte du feu qu’il va renverser sur sa tête, est-ce son époux ? que veut-il faire de ces charbons allumés ? où les a-t-il pris ? Quel tapage d’objets disparates ! On en

  1. Il n’y a aucune indication au livret qui puisse permettre de reconnaître ces Pastorales parmi toutes celles que Boucher a signées.