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à un haut degré de perfection, peut mettre dans un tableau, y est. La différence qu’il y a entre la Madeleine du Corrége et celle de Van Loo, c’est qu’on s’approche tout doucement par derrière la Madeleine du Corrége, qu’on se baisse sans faire le moindre bruit, et qu’on prend le bas de son habit de pénitente seulement pour voir si les formes sont aussi belles là-dessous qu’elles se dessinent au dehors ; au lieu qu’on ne forme nulle entreprise sur celle de Van Loo. La première a bien encore une autre grandeur, une autre tête, une autre noblesse, et cela sans que la volupté y perde rien.

C’est un joli sujet que la Première Offrande à l’Amour[1]. Ce devrait être un madrigal en peinture ; mais le maudit peintre, toujours peintre et jamais homme sensible, homme délicat, homme d’esprit, n’y a rien mis, ni expression, ni grâces, ni timidité, ni crainte, ni pudeur, ni ingénuité ; on ne sait ce que c’est. Il faut convenir que rendre l’idée de la première guirlande, du premier sacrifice, du premier soupir amoureux, du premier désir d’un cœur jusqu’alors innocent, n’était pas une chose facile : Falconet ou Boucher s’en seraient peut-être tirés.

L’Amour menaçant[2] est une seule figure debout, vue de face ; un enfant qui tient un arc tendu et armé de sa flèche, toujours dirigée vers celui qui le regarde, il n’y a aucun point où il soit en sûreté. Le peuple fait grand cas de cette idée du peintre ; c’est une misère à mon sens. Il a fallu que le milieu de l’arc répondît au milieu de la poitrine de la figure. La corde s’est projetée sur le bois de l’arc, la corde et le bois ensemble sur l’enfant ; et toute la longueur de la flèche s’est réduite à un petit morceau de fer luisant qu’on reconnaît à peine ; et puis, toute la position est fausse. Quiconque veut décocher une flèche, prend son arc de la main gauche, étend ce bras, place sa flèche, saisit la corde et la flèche de la main droite, les tire à lui de toute sa force, avance une jambe en avant et recule en arrière, s’efface le corps un peu sur un côté, se penche vers l’endroit qu’il menace, et se déploie dans toute sa longueur. Alors tout s’aperçoit, tout prend sa juste mesure ; la figure a un air d’activité, de force et de menace, et la flèche est une flèche, et non un morceau de fer de quelques lignes. Au reste je ne sais, mon

  1. Tableau de 5 pieds de haut sur 3 de large ; no 6 ; appartenait à Mme Geoffrin.
  2. Tableau d’environ 3 pieds sur 2 pieds 1/2 ; no 7.