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ou de Julien. Le contraste de ces figures antiques et modernes ferait croire que le tableau est un composé de deux pièces rapportées, l’une d’aujourd’hui, et l’autre qui fut peinte il y a quelque mille ans. Et l’abbé Galiani vous séparerait cela avec des ciseaux qui laisseraient d’un côté tout le plat et tout le ridicule, et de l’autre tout l’antique qui serait supportable et que chacun interpréterait à sa fantaisie ; on trouverait cent traits de l’histoire grecque ou romaine auxquels cela reviendrait. Le peintre a eu une idée forte, mais il n’a pas su en tirer parti. Il a élevé son héros sur le corps même de la Discorde, dont les cuisses sont foulées par les pieds de cette figure ; mais après avoir appuyé un des pieds sur les cuisses, pourquoi l’autre n’a-t-il pas pressé la poitrine ? Pourquoi cette action n’écrase-t-elle pas la Discorde, ne lui tient-elle pas la bouche entr’ouverte, ne lui fait-elle pas sortir les yeux de la tête, ne me la montre-t-elle pas prête à être étouffée ? Comme elle est libre de la tête, des bras et de tout le haut de son corps, si elle s’avisait de se secouer avec violence, elle renverserait le monarque, et mettrait les dieux, les échevins et le peuple en désordre. En vérité, la figure symbolique de la capitale est une belle figure. Voyez-la. J’espère que vous serez aussi satisfait de la Générosité, de la Paix, et des Fleuves.


CARLE VAN LOO.


Quoi qu’en dise le charmant abbé, la Madeleine dans le désert[1] n’est qu’un tableau très-agréable. C’est bien la faute du peintre, qui pouvait avec peu de chose le rendre sublime ; mais c’est que ce Carle Van Loo, quoique grand artiste d’ailleurs, n’a point de génie. La Madeleine est assise sur un bout de sa natte ; sa tête renversée appuie contre le rocher ; elle a les yeux tournés vers le ciel ; ses regards semblent y chercher son Dieu. À sa droite est une croix faite de deux branches d’arbre ; à sa gauche sa natte roulée, et l’entrée d’une petite caverne. Il y a du goût dans toutes ces choses, et surtout dans le vêtement violet de la pénitente ; mais tous ces objets sont peints d’une touche trop douce et trop uniforme. On ne sait si les rochers sont de la

  1. Tableau de 8 pieds de haut sur 5 de large ; no 4 ; pour l’église Saint-Louis du Louvre. Nous ne savons ce qu’il devint lors de la démolition de cette église.